Maintien du taux directeur : un pari sur la crédibilité monétaire marocaine
Réuni le 24 juin, le Conseil de Bank Al-Maghrib a conservé son taux directeur à 2,25 %. Le gouverneur Abdellatif Jouahri a justifié « un choix de continuité dicté par la nécessité de consolider la désinflation en cours tout en soutenant la reprise réelle ». L’inflation sous-jacente, passée de 8,3 % en mars 2023 à 2,8 % en mai 2025, offre un espace tactique au statu quo. Rabat mise ainsi sur la crédibilité acquise depuis la phase de resserrement de 2022-2023 pour éviter un signal de relâchement prématuré.
Un environnement externe sous haute tension géopolitique
La décision s’inscrit dans une conjoncture où la normalisation monétaire occidentale se heurte au durcissement commercial des États-Unis et à la persistance de conflits régionaux, du golfe d’Aden à l’est de l’Europe. L’essor des droits de douane américains sur les technologies vertes chinoises renforce l’incertitude, tandis que la route maritime marocaine gagne en intérêt stratégique pour les flux vers l’Atlantique. « Le Maroc surveille étroitement la fragmentation financière qui pourrait renchérir ses coûts de refinancement », confie un diplomate européen en poste à Rabat.
Facteurs domestiques : désinflation fragile et besoin de crédit productif
Sur le plan interne, la campagne céréalière mitigée après un printemps sec retarde le plein effet de la baisse des prix alimentaires mondiaux. Néanmoins, le recul des cotations pétrolières et la réforme ciblée des subventions carburant libèrent une marge budgétaire pour les filets sociaux Al-Takaful. Bank Al-Maghrib souhaite éviter de priver l’économie d’oxygène financier alors que l’investissement privé, stimulé par le Fonds Mohammed VI, reprend doucement. Les crédits à l’équipement progressent de 5 % en glissement annuel, encore loin des 9 % pré-pandémie, justifiant l’absence de resserrement.
Lecture diplomatique : une neutralité active vis-à-vis des grands blocs
Le maintien du taux directeur est interprété par plusieurs chancelleries comme la volonté de Rabat de projeter une image de prévisibilité macrofinancière, indispensable au renforcement de ses partenariats diversifiés. Dans le sillage des accords verts signés avec l’Union européenne et des financements chinois dans les zones industrielles Tanger Tech, le Maroc évite tout geste susceptible de décourager l’afflux d’IDE. « Cette posture promeut une neutralité monétaire compatible avec la diplomatie du ‘multialignement’ marocain », relève un chercheur du Policy Center for the New South.
Réactions des marchés et des agences de notation
À Casablanca, l’indice MASI a clôturé en hausse de 0,4 % le soir de la décision, reflet d’un soulagement des investisseurs locaux inquiets d’un éventuel durcissement. Fitch Ratings a salué « la constance et la transparence exemplaires de BAM » dans un communiqué, laissant sa perspective sur la dette souveraine marocaine inchangée à stable. Les swaps de change dirham-dollar à douze mois se sont contractés de huit points de base, preuve que le marché percevait déjà la probabilité élevée d’un statu quo.
Perspectives : cap sur 2026 entre ajustement fin et réforme structurelle
Le gouverneur Jouahri a évoqué une fenêtre de révision graduelle vers un régime de ciblage de l’inflation d’ici à 2026, à condition que les réserves de change se maintiennent au-delà de sept mois d’importations. Cette évolution exige une coordination renforcée avec le ministère de l’Économie pour accélérer la réforme du marché des changes et approfondir la profondeur obligataire domestique. Dans l’intervalle, la Banque centrale se réserve la faculté de « micro-ajustements » si les tensions sur les denrées ou l’énergie devaient se raviver à l’automne.
Entre prudence et opportunités, l’équilibre marocain à l’épreuve
La décision de maintenir le taux directeur à 2,25 % illustre l’art d’un équilibrisme propre à la diplomatie économique marocaine : protéger le pouvoir d’achat sans brider l’initiative privée, rassurer les bailleurs de fonds sans sacrifier la flexibilité sur le long terme. Dans un environnement international fragmenté, le royaume entend montrer que la stabilité monétaire peut demeurer un atout stratégique, pourvu qu’elle s’accompagne de réformes structurelles et d’un dialogue constant avec ses partenaires. Le pari de Bank Al-Maghrib sera jugé à l’aune de sa capacité à transformer cette stabilité en croissance inclusive et durable.