Bangui au cœur des équations sous-régionales
Au-delà des protocoles habituels, la tenue à Bangui de la 16ᵉ Conférence des chefs d’État et de gouvernement de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale fait figure de signal politique fort. La capitale centrafricaine, longtemps associée aux défis sécuritaires de la région, ambitionne de projeter une image renouvelée de stabilité. Pour les diplomates accrédités auprès de la Cémac, cette session d’août constitue « une marque de confiance collective envers la République centrafricaine », selon un conseiller du secrétariat permanent, soucieux de voir les projecteurs se fixer sur la relance économique plutôt que sur les turbulences passées.
Une transition de présidence porteuse d’attentes
Le sommet doit également consacrer la passation de témoin entre le président centrafricain Faustin-Archange Touadéra et son homologue congolais Denis Sassou Nguesso à la tête de la Conférence. Cette rotation statutaire intervient à un moment où la Cémac s’attelle à consolider ses réformes macroéconomiques, en particulier celles menées sous l’égide de la Banque des États de l’Afrique centrale (BEAC) et du Fonds monétaire international. Plusieurs chancelleries de la sous-région estiment que l’expérience de Brazzaville dans la conduite de programmes de redressement budgétaire « offrira une valeur ajoutée au pilotage collectif » des chantiers en cours, notamment la soutenabilité de la dette publique et la diversification des recettes hors hydrocarbures.
Solidarités économiques et réalités budgétaires
Dans un environnement encore marqué par les séquelles de la pandémie et les effets de la volatilité des matières premières, les six États membres – Cameroun, Centrafrique, Congo, Gabon, Guinée équatoriale et Tchad – continuent de rechercher un équilibre subtil entre discipline budgétaire et stimulation de la demande intérieure. Les discussions préparatoires mettent en exergue la nécessité d’accélérer la mise en œuvre du Programme des réformes économiques et financières de la Cémac, en sommeil depuis son adoption à Ndjamena en 2016. Le maintien d’une zone franc stable, le renforcement des réserves de change et l’approfondissement du marché financier régional figurent déjà dans les dossiers prioritaires que Brazzaville entend promouvoir au cours de son mandat.
Diplomatie du calendrier et symbolique du drapeau
C’est dans ce contexte qu’intervient la tournée régionale du vice-président gabonais, Dr Séraphin Moudounga. Après Ndjamena, Malabo et Bangui, l’émissaire du président Brice Clotaire Oligui Nguema a été reçu à Brazzaville le 31 juillet. Objet principal : évoquer un léger réaménagement des dates, le 9 août coïncidant au Gabon avec la Journée nationale du drapeau. « Il ne s’agit pas d’un différend, mais d’une recherche de synergie symbolique », a-t-il expliqué à la presse, soulignant que la présence gabonaise à Bangui ne souffrira aucune équivoque. À huis clos, Denis Sassou Nguesso aurait salué « l’élégance diplomatique » de la démarche, rappelant que la cohésion de la Cémac trouve souvent sa force dans ces marques de considération réciproque.
Perspectives d’intégration et enjeux sécuritaires
Au-delà de la question protocolaire, la visite de l’émissaire gabonais a ravivé le débat sur la circulation des personnes et des biens, pilier souvent cité mais encore insuffisamment matérialisé de la Cémac. Des avancées ont été enregistrées, à l’instar de la suppression de visas pour les ressortissants de la sous-région, mais la standardisation des documents de voyage et la reconnaissance mutuelle des cartes grises restent en chantier. « Le futur président en exercice devra favoriser des mesures tangibles pour que la libre circulation cesse d’être un concept et devienne un acquis du quotidien », insiste un diplomate camerounais en poste à Brazzaville. Parallèlement, les chefs d’État devraient aborder la montée des menaces transfrontalières, notamment la criminalité forestière et l’orpaillage illégal, phénomènes qui sapent les efforts de consolidation budgétaire et de gouvernance environnementale.
Brazzaville, arbitre discret d’un consensus raisonné
L’activation d’un consensus, désormais signature du style Sassou Nguesso, se manifeste par des consultations bilatérales soutenues. Brazzaville a déjà multiplié les échanges avec Yaoundé, Malabo et Ndjamena afin d’arrêter un socle d’engagements financiers susceptibles de rassurer les partenaires techniques. Selon une source proche du ministère congolais des Finances, l’intention est de « présenter un front uni lors des réunions d’automne du FMI », lesquelles rythmeront l’agenda international juste après le sommet de Bangui.
L’Afrique centrale entre prudence monétaire et ambitions vertes
La Cémac travaille également à la déclinaison d’une stratégie climatique commune, volet qui gagne en importance à l’approche de la COP 29. La République du Congo, forte de son immense couvert forestier, devrait proposer un mécanisme régional de valorisation des crédits carbone, complémentaire des négociations bilatérales déjà engagées avec plusieurs partenaires européens et asiatiques. À Brazzaville, on souligne que « la transition énergétique n’est pas antinomique avec la stabilité monétaire », mettant l’accent sur la nécessité de préserver la convertibilité du franc CFA tout en finançant les infrastructures vertes.
Vers un sommet fédérateur
Les tractations de juillet et d’août laissent entrevoir un sommet qui, sans être la panacée, pourrait insuffler un dynamisme nouveau à l’intégration d’Afrique centrale. À Bangui, les équipes protocolaires peaufinent une cérémonie d’ouverture qui fera la part belle aux symboles de réconciliation et de coopération. En coulisses, les experts financiers préparent un communiqué final susceptible de rassurer marchés et bailleurs. Comme le rappelle un haut fonctionnaire de la BEAC, « la réussite d’un sommet se mesure à la capacité des États à honorer les engagements le lendemain ». Le passage de la présidence à Denis Sassou Nguesso, réputé pour son attachement au multilatéralisme africain, devrait conforter cette orientation pragmatique.