Ryad scelle une relève annoncée
Le 1ᵉʳ juillet 2025, dans le grand salon du Conseil des ministres saoudien, le Dr Sidi Ould Tah a remis aux mains d’Abdullah ALMUSAIBEEH le sceau symbolique de la Banque arabe pour le développement économique en Afrique. Autour d’eux, les représentants des États actionnaires des pays arabes, plusieurs ministres africains des Finances et les partenaires multilatéraux ont salué l’élégance d’une passation préparée depuis avril dernier. L’instant est plus qu’une image : il marque la poursuite d’une stratégie patiemment élaborée pour ancrer la BADEA au cœur des grandes chaînes de valeur continentales, alors que l’Afrique affine son architecture de financement et que les flux Sud-Sud se densifient.
Une décennie Ould Tah gravée dans les indicateurs
Porté à la tête de l’institution en 2015, le Mauritanien aura laissé une empreinte mesurable. Les engagements cumulés sont passés de 4 milliards à plus de 7,2 milliards de dollars, avec une réallocation audacieuse vers les infrastructures de connectivité, l’agro-industrie et, plus récemment, la santé publique. À Brazzaville comme à Pointe-Noire, des projets d’adduction d’eau et de réhabilitation routière ont bénéficié des lignes concessionnelles de la BADEA, contribuant à la mise en œuvre du Plan national de développement congolais. Sous son mandat, l’institution a aussi adopté une charte de financement climatique qui flèche déjà 25 % du portefeuille vers la transition énergétique, tout en introduisant une plateforme numérique de décaissement qui a réduit de moitié les délais de traitement. Dans les couloirs feutrés du siège de Khartoum, beaucoup reconnaissent à Ould Tah d’avoir fait passer la BADEA d’une culture « banque de projets » à une logique de « banque de solutions ».
Le regard d’Abdullah ALMUSAIBEEH, entre prudence et ambition
Ancien directeur exécutif du Fonds koweïtien pour le développement et négociateur clé de plusieurs émissions d’obligations durables dans le Golfe, Abdullah ALMUSAIBEEH aborde son mandat avec un double capital : l’expertise financière et la connaissance fine des attentes africaines. Au cours de sa première allocution, il a insisté sur « la nécessité de consolider le maillage des banques régionales, d’accroître la syndication avec les acteurs privés et d’élargir l’éligibilité aux États enclavés ». Les délégations congolaises, guinéennes et nigériennes ont particulièrement noté son engagement à maintenir un guichet concessionnel flexible, gage, selon ses mots, « d’une croissance inclusive qui ne sacrifie ni l’équilibre budgétaire ni la cohésion sociale ».
Enjeux pour les partenaires africains, du Fleuve Congo au Nil
Les capitales africaines observent la transition avec un mélange d’anticipation et de pragmatisme. À Brazzaville, où la BADEA s’est récemment engagée dans la modernisation du corridor Pointe-Noire-Ouesso, le ministère de l’Aménagement du Territoire table sur une amplification des guichets mixtes associant prêts concessionnels et facilités non souveraines. Dakar, Addis-Abeba et Kigali, déjà rodés aux montages financiers structurés, espèrent, de leur côté, que le nouveau président accélérera l’introduction d’instruments en monnaie locale pour limiter l’exposition au risque de change. L’arrivée d’Abdullah ALMUSAIBEEH intervient aussi dans un contexte d’opportunité : la Zone de libre-échange continentale africaine attise les convoitises des fonds souverains du Golfe, et la BADEA se positionne comme interface de confiance.
La diplomatie financière Sud-Sud en toile de fond
Le changement à la tête de la BADEA doit se lire à l’aune d’une recomposition plus large des flux financiers émergents. Les capitaux arabes, asiatiques et latino-américains convergent vers un continent africain perçu comme l’un des ultimes réservoirs de croissance inclusive. Pour le Congo-Brazzaville, dont la stratégie de diversification mise sur l’agro-industrie et la transition énergétique, la continuité de la BADEA est essentielle : elle assure un pont fiable entre les priorités nationales et les mécanismes de financement internationaux, tout en s’inscrivant dans l’agenda panafricain de développement à long terme. Les observateurs voient dans la nomination d’un dirigeant koweïtien le signe d’une redensification des solidarités Sud-Sud, complémentaire des partenariats historiques avec les institutions de Bretton Woods.
Cap sur 2030 : prudente évolution ou nouvelle rupture ?
Le nouveau cycle stratégique que doit présenter Abdullah ALMUSAIBEEH d’ici la fin de l’année ambitionne de porter les engagements annuels à 1,5 milliard de dollars, avec un accent plus appuyé sur les chaînes de valeur régionales et la digitalisation des PME. Pour les États membres, il s’agit d’une opportunité tangible d’articuler les feuilles de route nationales et continentales, sans renoncer à la discipline macro-budgétaire. Au Congo-Brazzaville, cette perspective alimente un optimisme mesuré : en capitalisant sur la stabilité institutionnelle interne et la diplomatie proactive de Brazzaville, les autorités espèrent capter une part accrue de ces flux afin de soutenir la transformation de leur économie. Entre prudence et ambition, la BADEA reste ainsi, sous une nouvelle direction, l’un des aiguillons les plus attendus de la coopération économique afro-arabe.