Panique au cœur du lycée Barthélémy Boganda
Il est un peu plus de quatorze heures, mercredi 25 juin, lorsque la détonation secoue les salles d’examen du lycée Barthélémy Boganda de Bangui. Quatre-vingts candidats, plongés dans la concentration des épreuves écrites du baccalauréat, sont brusquement projetés dans le chaos après l’explosion d’un transformateur de la Société nationale d’électricité, ENERCA. La fumée envahit les couloirs, un début d’incendie embrase les câbles noircis, et la panique se propage plus vite que les flammes. Les témoignages convergent : des élèves sautent du premier étage, d’autres s’évanouissent, nombre d’entre eux sont piétinés dans la mêlée. Le bilan officiel fait état d’au moins quatre décès et d’une soixantaine de blessés graves, un chiffre qui pourrait encore s’alourdir, redoutent les secouristes.
Une infrastructure énergétique à bout de souffle
L’accident n’est pas qu’une tragique fatalité ; il résulte d’un vieillissement systémique du réseau national. ENERCA, créée en 1963 pour électrifier un territoire vaste comme la France mais doté de moins de cinq pour cent de taux d’accès à l’électricité, fonctionne aujourd’hui avec des transformateurs souvent antérieurs aux accords de Bangui de 1997. « Les coupures quotidiennes, les surtensions à répétition et l’absence d’entretien préventif rendent ces équipements aussi instables que des barils de poudre », confie, amer, un ingénieur du ministère de l’Énergie. Le rétablissement soudain de l’alimentation, après plusieurs heures d’interruption, a provoqué une surtension fatale dans un transformateur saturé de moisissures et de câbles dénudés. À Bangui, le réseau basse tension sillonne des quartiers d’habitat spontané où les branchements clandestins tirent sur des lignes déjà sous-dimensionnées. Qu’il se situe au cœur d’un centre d’examen illustre la frontière poreuse entre le monde scolaire et l’état d’urgence énergétique permanent.
Le système éducatif sous la double pression de la violence et de la pénurie
L’incident rappelle cruellement qu’en Centrafrique, le simple droit à l’éducation demeure précaire. Depuis une décennie, la moitié des établissements secondaires a connu au moins une fermeture temporaire liée à l’insécurité ou au manque d’enseignants. Le baccalauréat, rituel républicain par excellence, est souvent organisé dans des conditions d’exception : délocalisation d’épreuves pour cause de violences armées, interruptions pour alerte sanitaire, contraintes budgétaires qui limitent la dotation en copies et en surveillants. Les indicateurs sont têtus : à peine un tiers des inscrits atteint la phase terminale du secondaire, et la réussite plafonne autour de 25 %. Le ministère de l’Éducation nationale, conduit par Aurélien-Simplice Zingas, avait pourtant fait du bac 2025 le symbole d’un « retour à la normalité académique ». L’explosion du lycée Boganda ruine en partie cette ambition, exposant au grand jour la fragilité de la chaîne logistique scolaire, de la distribution d’électricité jusqu’à la gestion des foules étudiantes dans un bâtiment construit pour cinq cents élèves et aujourd’hui saturé par plus du double.
Un test de résilience institutionnelle pour Bangui
Dans l’immédiat, le gouvernement a activé le protocole d’urgence : prise en charge des blessés au Centre hospitalier communautaire, ouverture d’une enquête judiciaire et suspension provisoire des épreuves dans le seul centre sinistré. « Les examens se poursuivront dans le reste du pays », insiste le communiqué officiel, soucieux d’éviter une contagion de la peur. Toutefois, la réponse à froid sera davantage scrutée par la communauté internationale. Les bailleurs, Banque mondiale et Union européenne en tête, conditionnent déjà la poursuite de leurs programmes Énergie et Éducation à la démonstration d’une gouvernance plus transparente. L’enquête devra donc établir non seulement les causes techniques, mais aussi les responsabilités administratives : absence d’audit des installations, défaut de maintenance, éventuelle corruption dans l’attribution des marchés publics. Le drame, en somme, se transforme en révélateur de la capacité de l’État à protéger un service public aussi symbolique que l’examen national.
Quel rôle pour les partenaires internationaux ?
Depuis 2018, l’Initiative pour la résilience du système éducatif centrafricain finance la réhabilitation de 170 salles de classe et l’installation de panneaux solaires dans les zones rurales. Le programme n’a néanmoins pas encore atteint Bangui, où la densité urbaine complique l’implantation de micro-réseaux. L’Agence française de développement étudie un projet de modernisation de la sous-station principale, mais l’enveloppe reste suspendue à la signature d’un nouvel accord de gouvernance sectorielle. Au-delà des fonds, plusieurs organisations plaident pour intégrer la gestion des risques dans la formation des enseignants et la conception des établissements. « On ne reconstruira pas l’école sans sécuriser l’environnement physique et psychologique des élèves », avertit une experte de l’UNESCO. Après le choc émotionnel, la reprise des cours passera par un accompagnement psychosocial des candidats blessés, une refonte du calendrier d’examens et une réflexion, plus large, sur la place de l’éducation dans le contrat social centrafricain. L’explosion du 25 juin agit alors comme un rappel à l’ordre : sans infrastructures fiables et sans institutions robustes, le savoir reste à la merci d’un simple court-circuit.