Un mois à Sibiti pour joindre théorie et pratique
Le 9 août, à l’aube, quatre-vingt-quatorze élèves de la filière production et santé animale ont quitté le bitume brazzavillois pour la latérite de Sibiti, chef-lieu verdoyant de la Lékoumou. Leur départ marque l’ouverture officielle de la campagne nationale de mise en stage des candidats au baccalauréat technique 2025-2026. Prévue pour s’étendre sur trente jours, cette immersion constituera désormais un passage obligé ; l’attestation de stage qu’ils obtiendront conditionnera l’accès à l’examen d’État.
Dans les fermes avicoles de Komono ou les étables pédagogiques du lycée agricole local, les apprenants alterneront soins vétérinaires, suivi zootechnique et gestion sanitaire des cheptels. « L’objectif est de vérifier la transférabilité des savoirs scolaires vers des gestes professionnels valorisés par les exploitants », explique Alain Rich Gouemba Haulier, coordonnateur du programme École productive.
Approche par compétence : priorités gouvernementales
Depuis deux ans, le ministère de l’Enseignement technique et professionnel déploie une réforme centrée sur l’approche par compétence. Conçue pour mettre fin à la dichotomie entre théorie et emploi, cette démarche ambitionne de produire des profils immédiatement opérationnels sur le marché national et sous-régional. « Le stage est la clef de voûte de la réforme ; il concrétise notre volonté de faire de chaque élève un acteur du tissu économique », souligne un responsable de la direction des Examens et Concours, rappelant que le budget du programme est cofinancé par le Trésor congolais et des partenaires bilatéraux.
En alignant le calendrier scolaire sur les cycles de production agricole, les concepteurs entendent également encourager les vocations rurales, sectorielles encore sous-tension face à la demande en protéines animales urbaines.
Rencontres interculturelles et vivre-ensemble
Le dispositif dépasse le champ purement académique. Les cinquante-quatre élèves venus des départements septentrionaux côtoient quarante camarades du Sud, constituant une première cohorte symboliquement baptisée « Classe de la concorde ». Entre deux vaccinations de porcelets, les jeunes partageront des tournois de football, des veillées théâtrales en lingala et en kituba, et des ateliers de cuisine traditionnelle. Les encadreurs misent sur cette mixité pour renforcer la cohésion nationale chez une jeunesse encore marquée par des lignes de fractures géographiques.
« Le vivre-ensemble n’est pas un supplément d’âme mais un module à part entière », insiste Nadège Goma, professeure de sciences sociales détachée à Sibiti. Selon elle, la capacité à coopérer dans des équipes de travail hétérogènes figure désormais dans le référentiel d’évaluation du bac technique.
Défis logistiques et accompagnement pédagogique
Acheminer près d’une centaine d’élèves, leurs formateurs et un lot de matériel vétérinaire jusqu’à Sibiti a mobilisé des convois mixtes rail-route. D’importantes quantités de vaccins thermosensibles ont été transportées dans des glacières alimentées par groupes électrogènes, tandis que des dortoirs provisoires ont été montés sur le site de l’Institut de formation agricole. « Nous avons capitalisé l’expérience du stage pilote 2024 pour fiabiliser la chaîne du froid et sécuriser les mouvements d’élèves », précise le colonel-médecin vétérinaire Henri Mokoko, chargé de la logistique sanitaire.
Parallèlement, quinze enseignants-formateurs issus de Sembé, Makoua ou Dolisie ont été associés afin de mutualiser leurs pratiques. Des séances de co-évaluation sont programmées chaque semaine, ouvrant la voie à une harmonisation nationale des critères de notation pratique.
Perspectives au-delà du mois de terrain
Dès septembre, une seconde cohorte de cent élèves de la filière production végétale rejoindra Loudima, dans la Bouenza, avant qu’une troisième vague spécialisée dans les métiers industriels ne s’implante sur le site du lycée technique agricole de Ouesso, en Sangha. À terme, l’ensemble des filières techniques devra valider un stage rural ou en entreprise, conformément à la feuille de route ministérielle.
Le succès de l’opération Sibiti pourrait inspirer de nouveaux partenariats public-privé. Les exploitants locaux, séduits par la perspective de disposer d’une main-d’œuvre formée, envisagent déjà d’offrir des contrats saisonniers à certains stagiaires. Pour l’heure, les futurs bacheliers s’attachent surtout à assimiler les procédures d’insémination ou de prophylaxie. Les bras plongés dans la sciure de la porcherie, Junior Ossiala confie, le regard déterminé : « Ici, j’apprends que notre avenir se cultive loin des salles de classe, mais toujours sous le regard de nos formateurs ».