Brazzaville convoque ses plumes de garnison
La salle Jean-Baptiste Tati Loutard du cercle Avenir des Cadres, à deux pas du fleuve, n’a jamais autant résonné de souvenirs que ce 15 juillet 2025. Sous la houlette de l’Association des Anciens Enfants de Troupe, la seizième Journée nationale des AET s’est ouverte par un Café littéraire consacré au général de brigade et écrivain Claude Emmanuel Eta-Onka, disparu le 25 décembre 2024. Députés, diplomates accrédités, officiers supérieurs et étudiants de l’École militaire préparatoire général Leclerc (EMPGL) ont mêlé uniformes et vestons dans une atmosphère solennelle, rappelant qu’au Congo l’art et la défense savent avancer de conserve.
Un officier sur les sentiers de la lyre
Dans les années 1970, alors que le Congo vivait les premières inflexions de sa diplomatie culturelle, le jeune cadet Eta-Onka remportait le Prix national de poésie lors des célébrations du dixième anniversaire de la Révolution. L’empreinte restera. Sur onze titres publiés entre 1991 et 2018, cinq relèvent de la poésie, révélant un imaginaire où le pas cadencé des parades dialogue avec le bruissement des raphias. « Lyrique et conservateur, le général-poète a littéralement infusé l’esprit de corps dans la métrique », résume l’AET Serge Eugène Ghoma Boubanga, maître de cérémonie et analyste du sous-thème « Poétique et enracinement ». La critique souligne notamment la permanence de la figure maternelle et la place accordée aux langues nationales – le Kukuya natal, mais aussi le Vili – comme autant de signaux d’ouverture dans un univers souvent perçu comme verrouillé (Les Dépêches de Brazzaville).
Le défi de la rareté éditoriale
Si le Café littéraire s’est voulu hommage, il a surtout mis en lumière un problème aigu : la quasi-absence, sur les étals, des ouvrages d’Eta-Onka. Tirages confidentiels, maisons d’édition locales disparues, absence de diffusion numérique : le destin posthume des textes rappelle la fragilité des circuits du livre en Afrique centrale. Ghoma Boubanga l’a exprimé sans ambages : « Il est de notre responsabilité de garantir la postérité de ces pages qui ont porté si haut le drapeau national. » Ce cri d’alarme trouve un écho dans les recommandations formulées par plusieurs diplomates partenaires du Congo, lesquels suggèrent de coupler les prochaines coopérations culturelles bilatérales à des programmes de numérisation.
Regards universitaires sur l’écriture militaire
Premier panéliste, l’AET Jessy Loemba s’est attaché à montrer que la veine narrative du général ne le cédait en rien à sa fibre poétique. Son recueil de nouvelles « Tandaliennes » explore, par le biais d’un terme puisé dans le lexique Vili, la coexistence de la discipline et de la fantaisie, esquissant une sociologie du corps expéditionnaire congolais sous un angle intime. « C’est l’ouverture d’esprit d’un stratège qui s’autorise la digression littéraire », souligne le nouvelliste, rappelant au passage les écrits de Saint-Exupéry ou de Montherlant.
Le professeur André-Patient Bokiba, conseiller culturel auprès du chef de l’État, a pour sa part proposé la tenue d’un colloque international consacré au tandem “Armée et littérature”. Un tel événement, soutient-il, pourrait déconstruire les stéréotypes attachés à la vocation martiale et mettre en avant « les diplomates en uniforme » que produisent les écoles congolaises depuis l’indépendance.
Vers une diplomatie du patrimoine littéraire
Au-delà de l’hommage, la rencontre brazzavilloise ouvre une brèche dans la réflexion stratégique. La future année jubilaire de l’EMPGL apparaît comme une fenêtre pour impulser une politique publique de patrimonialisation du livre, articulée autour d’axes bien identifiés : recensement des écrivains militaires, réédition critique des textes majeurs, et insertion de ces œuvres dans la diplomatie culturelle que le Congo déploie auprès de l’UNESCO et de la Francophonie.
La figure d’Eta-Onka sert dès lors de point d’ancrage symbolique : elle illustre la possibilité d’un soft power qui puise dans le registre de la mémoire militaire pour amplifier le rayonnement d’un pays attaché au multilatéralisme et à la stabilité régionale. Les diplomates présents notent que la conservation de ce patrimoine littéraire, loin d’être un luxe, participe d’une stratégie de sécurité culturelle, fondée sur la maîtrise des récits identitaires partagés par les forces armées et la société civile.
Une mémoire en marche, un agenda à concrétiser
À l’issue des échanges, la résolution adoptée par acclamation recommande la création, dans les prochains mois, d’un comité interministériel chargé de la réédition des œuvres d’Eta-Onka et de leurs traductions. L’objectif est double : offrir aux jeunes AET l’accès à un pan essentiel de leur héritage et consolider la place du Congo-Brazzaville dans la cartographie mondiale des littératures militaires.
En refermant l’événement, la voix du président de l’association, le colonel Michel Okemba, s’est faite à la fois protocolaire et émue : « Nous venons de démontrer qu’un défilé peut aussi être un défilé de mots. » Derrière la formule, beaucoup ont entendu l’esquisse d’un programme : faire défiler ces mots jusqu’aux rayonnages des bibliothèques africaines et internationales, afin que l’écho de la cadence poétique d’Eta-Onka continue de porter loin, très loin, la bannière tricolore.