Un rendez-vous musical adoubé par la finance panafricaine
Annoncé par la Banque africaine d’import-export, le festival AFREXIMfest s’impose déjà comme un puissant levier de soft power continental. En marge des assemblées annuelles d’Afreximbank transférées exceptionnellement à Paris, l’institution entend illustrer son crédo – « transformer le commerce, réinventer la culture » – par une démonstration artistique de premier plan. Choisir Davido comme tête d’affiche répond autant à des impératifs de notoriété qu’à une volonté de sceller, dans la capitale française, un récit d’affirmation africaine décomplexée. La perspective de remplir l’enceinte du Parc des Princes constitue un signal fort adressé aux marchés culturels européens : le continent est à la fois producteur et prescripteur de tendances.
Davido, catalyseur d’une pop-culture africaine globalisée
Depuis la parution de Fall en 2017, le chanteur-producteur originaire de Lagos a bâti un empire transnational, charriant autant de streams que de symboles. Fort de partenariats avec des majors nord-américaines, d’un passage remarqué au O2 Arena de Londres et d’une tournée nord-américaine complétée à guichets fermés, l’artiste témoigne d’une trajectoire où hégémonie numérique et ancrage culturel ne s’opposent plus. Comme le rappelle la sociologue Ada Udechukwu, « l’Afrobeat de Davido n’exporte pas qu’un rythme ; il exporte un imaginaire qui refuse la traduction » : paroles en pidgin, codes visuels yoruba et mise en scène d’un capital social nigérian triomphant.
Le Parc des Princes, laboratoire d’une diplomatie sonore
Paris n’ignorait pas l’Afrobeat, mais la rencontre d’un stade iconique et d’un genre longtemps périphérique dessine une nouvelle cartographie culturelle. D’ordinaire vouée aux triomphes du football professionnel, l’enceinte construite au cœur du XVIᵉ arrondissement devient, l’espace d’une nuit, une chambre d’écho des revendications symboliques africaines. Le directeur de la salle, Arnaud Meunier, souligne « l’opportunité inédite d’ouvrir l’arène à des sons qui parlent cinq continents à la fois ». Les responsables de la mairie, sensibles à la diplomatie des villes mondes, y voient un moyen de renforcer l’attractivité touristique post-JO en diversifiant l’offre de grands événements.
Une scénographie pensée comme manifeste de puissance
Selon l’équipe de production de Davido, le dispositif mobilisera écrans LED panoramiques, pyrotechnie synchronisée et interludes chorégraphiques conçus par la Sud-Africaine Bontle Modiselle. Les invités annoncés – l’Ivoirien Didi B et la Franco-malienne Aya Nakamura, selon une indiscrétion relayée par des proches de l’organisation – rehaussent la tonalité panafricaine de la soirée. Bien au-delà du simple divertissement, l’objectif est assumé : inscrire l’Afrobeat dans la liturgie des méga-concerts mondiaux, habituellement monopolisés par la pop anglo-saxonne, et prouver la maturité technique des acteurs africains de l’entertainment.
Vers un effet d’entraînement pour l’écosystème créatif africain
Les retombées potentielles excèdent le cadre du spectacle. Afreximbank, qui a récemment lancé un fonds de 1 milliard de dollars dédié aux industries créatives, utilise l’événement parisien comme vitrine de son ambition. À en croire le spécialiste congolais des industries culturelles Georges Ebolo, « mobiliser la scène européenne n’est pas un caprice, c’est la condition pour capter des licences, faciliter la circulation des artistes et faire entrer durablement les catalogues africains dans les playlists allouées au marché premium ». À terme, l’institution espère encourager une dynamique où labels, producteurs et plateformes de streaming africaines accèdent à un partage de valeur plus équitable.
Paris, carrefour stratégique d’un soft power afro-européen
L’externalisation de la diplomatie culturelle africaine dans la capitale française n’est pas anodine. Elle s’inscrit dans une séquence où la France, en redéfinition de ses liens avec le continent, offre son espace scénique à des expressions artistiques porteuses d’images positives. L’événement permet également de contourner la compétition logistique des grandes salles londoniennes ou berlinoises en créant, sur la rive droite de la Seine, un hub de diffusion afro-européen. La présence d’un public cosmopolite, composé de la diaspora, de diplomates et d’investisseurs, conforte l’idée qu’un concert peut servir de forum de négociation informel, là où se tisse désormais une partie du dialogue économique Sud-Nord.
Une soirée qui augure de nouvelles convergences géopolitiques
Le 28 juin, l’alliance entre la puissance financière d’Afreximbank et l’aura artistique de Davido matérialisera une diplomatie d’influence où la musique devient argument stratégique. Si le spectacle se déroule dans une atmosphère de fête, il portera discrètement les enjeux de propriété intellectuelle, de mobilité des talents et d’intégration des chaînes de valeur culturelles africaines. Paris en récoltera la visibilité, l’Afrobeat la légitimité, et l’Afrique une scène supplémentaire pour affirmer ses ambitions, sans confrontation ni complexe, dans la compétition mondiale des imaginaires.