Des opérations simultanées révélatrices d’une maturité tactique
Les premières lueurs de la journée du 18 juin se sont levées sur une série de détonations à Kayes, Nioro, Gogui, Sandaré, Diboli et deux autres localités voisines, toutes situées dans la bande occidentale du Mali. Selon le communiqué succinct diffusé par l’état-major malien, il s’agit d’attaques « coordonnées et synchronisées » ayant visé sept positions militaires stratégiques (communiqué des Forces armées maliennes). Si aucun bilan chiffré n’a été livré, l’ampleur géographique de la manœuvre témoigne d’une réelle capacité organisationnelle des assaillants, très vraisemblablement affiliés au Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, matrice sahélienne d’Al-Qaïda.
Un modus operandi qui s’inscrit dans une montée en gamme
Ces attaques surviennent moins d’un mois après celles de Tombouctou et de Dia, qui avaient respectivement ciblé un camp et décimé un convoi militaire. Le recours combiné aux véhicules piégés improvisés, à la manœuvre d’infiltration de petites unités et à la saturation des fréquences radio confirme la montée en gamme des dispositifs jihadistes. « Nous assistons à une hybridation des tactiques insurrectionnelles et des méthodes classiques de forces spéciales », évalue un analyste du Centre africain d’études stratégiques basé à Addis-Abeba. La dimension psychologique de ces frappes n’est pas anodine : elle vise à pérenniser le doute dans les rangs de l’armée malienne tout en envoyant aux populations locales le message d’une gouvernance de proximité capable d’opérer sur de vastes espaces frontaliers.
Les causes structurelles d’une vulnérabilité sécuritaire persistante
L’arc sahélien se caractérise par une densité démographique faible, des couloirs commerciaux poreux et une gouvernance parfois intermittente dans les territoires ruraux. À ces fragilités systémiques s’ajoutent les dynamiques centrifuges nées des conflits communautaires, de la raréfaction des ressources pastorales et des flux d’armes post-libyens. Dans ce terreau, les groupes jihadistes entretiennent une économie de prédation fondée sur la contrebande, les taxes illégales aux postes frontaliers et la captation de redevances sur les filières aurifères artisanales. L’absence de revendication immédiate, pratique devenue récurrente, participe d’une stratégie de brouillage : elle complique l’attribution formelle et retarde ainsi la mobilisation de la riposte internationale.
Résonances régionales : risques de débordement et réponses collectives
La localisation de Diboli, porte d’entrée vers le Sénégal, rappelle que les ramifications jihadistes dépassent désormais le bassin central malien. Un récent rapport du Timbuktu Institute souligne que la mouvance cherche à exploiter les interstices sécuritaires des régions frontalières pour tester la résilience des États côtiers. Dans ce contexte, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale a, depuis 2022, intensifié la coordination de son architecture de paix avec le G5 Sahel. Brazzaville, qui héberge le Centre de veille stratégique d’Afrique centrale, joue un rôle discret mais déterminant dans la remontée d’informations et la formation d’unités de police spécialisées. Comme le confie un diplomate congolais, « la stabilité de l’hinterland sahélien conditionne indirectement la sécurité de nos façades maritimes et de nos corridors logistiques ». Cette approche holistique est au cœur des orientations du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine.
Entre pression militaire et diplomatie préventive, quelles marges de manœuvre ?
Sur le terrain, l’armée malienne, soutenue par des partenariats de circonstance, poursuit une logique de quadrillage assortie d’opérations de ratissage. Mais la réponse purement sécuritaire montre ses limites face à un ennemi qui se déplace à la vitesse des communautés mouvantes. Les chancelleries d’Afrique centrale plaident donc pour un équilibrage entre fermeté militaire et relance du dialogue intercommunautaire. À Abuja, lors de la dernière réunion conjointe CEEAC-CEDEAO, les ministres de la Défense ont entériné un protocole de partage de renseignements en temps réel, gage d’une meilleure anticipation des menaces transfrontalières. Dans les couloirs, plusieurs délégués ont souligné la nécessité d’associer les acteurs économiques à l’effort, l’assèchement des circuits de financement restant la condition sine qua non d’une victoire durable.
Perspectives : consolider la résilience institutionnelle africaine
La séquence malienne met une nouvelle fois en lumière le défi, pour les États du continent, d’articuler modernisation des forces armées et gouvernance inclusive. Les initiatives panafricaines telles que la Force africaine en attente ou le Fonds pour la paix de l’Union africaine demeurent sous-dotées au regard de l’ampleur des crises. Toutefois, certains signaux sont encourageants : la mutualisation des académies de défense, la montée en puissance de la diplomatie sanitaire – utile pour regagner la confiance des populations – et l’émergence de chaînes d’approvisionnement sécurisées entre ports atlantiques et capitales sahéliennes. Le Congo-Brazzaville, qui préside en 2024 le Comité de haut niveau de l’UA sur la stabilité institutionnelle, pourrait capitaliser sur son image de médiateur pour promouvoir un agenda conjuguant sécurité, développement et culture de la légalité.