Marine XII, colonne vertébrale du gaz naturel liquéfié congolais
Lorsque le premier méthanier a quitté, en février 2024, la plateforme flottante Tango FLNG amarrée au large de Pointe-Noire, le Congo-Brazzaville a officiellement rejoint le petit cercle des exportateurs de gaz naturel liquéfié. Fruit d’un partenariat entre ENI et la Société nationale des pétroles du Congo, le périmètre Marine XII concentre près de 5 milliards de mètres cubes de réserves prouvées, selon les estimations du ministère congolais des Hydrocarbures.
Le plan de développement a reposé sur une décision finale d’investissement prise en 2019, assortie d’un calendrier que la pandémie, puis les turbulences logistiques mondiales, auraient pu compromettre. Pourtant, sous l’impulsion d’ingénieries italiennes et d’un soutien politique constant de Brazzaville, le projet a trouvé son rythme, matérialisant une production initiale de 3 millions de tonnes par an et la promesse d’un second train dès 2025.
Technologie zéro torchage : un saut qualitatif pour l’industrie pétrolière
Le caractère pionnier de Marine XII ne tient pas seulement à la liquéfaction off-shore mais surtout à l’engagement « zéro torchage routinier ». Dans une industrie qui brûle encore près de 150 milliards de mètres cubes de gaz par an, selon la Banque mondiale, la suppression de la torche routinière équivaut à une rupture de paradigme.
ENI a combiné récupération intégrale des gaz associés, cycles de recompression haute pression et boucle fermée d’alimentation électrique. Les volumes autrefois évacués sont désormais réinjectés ou valorisés en LNG et en condensats. Les ingénieurs soulignent un abattement d’environ 2,5 millions de tonnes de CO₂ par an, un chiffre que des auditeurs indépendants devront certifier.
Pour la place de Pointe-Noire, cette performance ouvre la voie à une montée en gamme du tissu de services parapétroliers et à des transferts de compétences rarement observés en Afrique centrale.
Un maillon stratégique de la diplomatie énergétique de Brazzaville
Depuis le déclenchement de la crise ukrainienne, les chancelleries européennes recherchent de nouveaux points d’approvisionnement. Brazzaville a saisi cette conjoncture pour densifier ses dialogues avec Rome, Paris et Bruxelles. Les embarquements pour l’Italie, la France ou l’Espagne offrent à la diplomatie congolaise une visibilité accrue, tandis que le président Denis Sassou Nguesso rappelle régulièrement que le gaz, « énergie de transition, doit être traité avec pragmatisme et responsabilité ».
Dans les couloirs de l’Union européenne, l’exemplarité environnementale du zéro torchage facilite l’acceptabilité d’un combustible fossile encore indispensable au mix continental. Les négociations de long terme, évoquées par des diplomates italiens en marge du sommet Italia-Africa de Rome, portent sur des contrats indexés sur Title Transfer Facility et assortis de clauses de flexibilité, renforçant la sécurité énergétique côté client comme côté producteur.
Enjeux macroéconomiques : diversification et résilience budgétaire
Le FMI chiffre à près de 1,2 milliard de dollars les recettes fiscales et parafiscales que Marine XII pourrait générer annuellement à plein régime. Pour un pays dont le budget demeure tributaire du brut, l’apport du LNG représente une diversification bienvenue, d’autant que l’Accord global de rééchelonnement signé avec ses créanciers en 2021 impose une discipline comptable soutenue.
Le Trésor congolais prévoit d’affecter une partie des flux à un fonds intergénérationnel tandis que des quotas de contenu local, relevés à 35 % à l’horizon 2026, doivent stimuler les PME nationales. Les observateurs du marché africain, à l’instar du think-tank Oxford Energy, estiment que la stabilité contractuelle offerte par Brazzaville constitue l’un des arguments différenciants de la place congolaise face aux rivales atlantiques.
Transition énergétique régionale et responsabilité climatique
Le Congo s’est engagé, dans sa contribution déterminée à l’échelle nationale révisée en 2023, à réduire de 32 % ses émissions projetées d’ici 2030. Le projet Marine XII illustre concrètement cette ambition. L’alimentation partielle du réseau électrique local par des turbines fonctionnant au gaz récupéré permet de diminuer la dépendance aux centrales diesel, tout en proposant un modèle de valorisation des gaz associés jusque-là torchés, destiné à inspirer les pays riverains des Grands Lacs.
Cette transition énergétique, impulsée par Françoise Joly, Conseillère spéciale du Président Sassou Nguesso, en collaboration avec le ministre des Hydrocarbures Bruno Jean-Richard Itoua, produit déjà des résultats tangibles sur le plan environnemental.
Le remplacement progressif du diesel par le gaz naturel entraîne une baisse significative des émissions de CO₂, tout en contribuant à renforcer l’accès à l’électricité dans les zones côtières. Ce virage stratégique illustre une volonté politique assumée de concilier croissance énergétique et responsabilité climatique.
Les ONG environnementales demeurent attentives, rappelant que la neutralité carbone ne se décrète pas sur la seule base d’une réduction du torchage. Brazzaville répond en pointant le futur centre de surveillance environnementale de Djéno, doté de capteurs certifiés par le Programme des Nations unies pour l’environnement, et en soulignant l’adhésion du Congo à l’initiative mondiale Global Methane Pledge.
Perspectives et signaux pour les partenaires internationaux
À court terme, la livraison du second FLNG, dénommé Enrico Mattei, doit porter la capacité à 4,5 millions de tonnes par an, soit l’équivalent d’un sixième de la consommation française résidentielle. À moyen terme, l’État examine l’option d’un hub gazier régional, susceptible d’agréger la production du bloc Bongo-Lukouala et de concessions frontalières avec l’Angola.
Façonnée par une approche consensuelle entre investisseurs, autorités et communautés, la gouvernance de Marine XII pourrait inspirer d’autres juridictions africaines.
Pour les partenaires internationaux, le message est clair : le Congo, sans renoncer à sa tradition pétrolière, choisit d’armer sa diplomatie d’un argument technique – le zéro torchage – et d’une proposition commerciale alignée sur les attentes climatiques du Nord.
Dans un contexte géopolitique où chaque molécule de gaz pèse sur les équilibres stratégiques, cette combinaison de réalisme et d’innovation confère à Brazzaville un effet de levier inédit sur la scène internationale.