Pointe-Noire, carrefour africain de la diplomatie portuaire
Dans le sillage des flots atlantiques, la capitale économique congolaise a accueilli, du 14 au 16 juillet, la dixième édition des Journées du chargeur africain. La présence de la ministre Ingrid Olga Ghislaine Ebouka Babackas, dont la maîtrise des dossiers maritimes est unanimement reconnue, a conféré à l’événement une dimension à la fois technique et diplomatique. Quinze délégations nationales, un représentant de la Zone de libre-échange continentale africaine et des hauts fonctionnaires de l’Organisation maritime de l’Afrique de l’Ouest et du Centre ont convergé vers le port de Pointe-Noire, symbole d’une connectivité que le continent entend désormais gouverner plutôt que subir.
Au-delà du protocole, ces assises traduisent la montée en puissance d’une diplomatie des infrastructures que Brazzaville cultive depuis plusieurs années. En offrant aux chargeurs un cadre de réflexion serein, le Congo consolide son image de plateforme logistique ouverte et fiable, tout en rappelant que la stabilité politique demeure la première condition d’un commerce prospère. « Nous voulons bâtir une Maison Transport à l’échelle continentale », a résumé Dominique Candide Fabrice Koumou Boulas à la clôture des travaux, évoquant la vision d’un espace de mutualisation des expertises.
Modernisation logistique et souveraineté économique
Sous l’angle économique, les débats ont mis en lumière l’impératif de reprendre la main sur une chaîne de valeur encore largement dictée par les armateurs extra-africains. Les directeurs généraux des conseils des chargeurs ont insisté sur la nécessité de maîtriser les coûts induits par la transition environnementale, tout en garantissant la compétitivité des exportations agricoles, minières et énergétiques. La souveraineté passe ici par la capacité à négocier des taux de fret raisonnables, à sécuriser les corridors et à harmoniser les régimes douaniers.
Cette approche trouve un écho particulier au Congo-Brazzaville, dont l’ambition de diversifier son économie repose sur un réseau de transport résilient. Les programmes d’extension du port de Pointe-Noire, articulés à la modernisation du CFCO et à la réhabilitation des routes nationales, illustrent une politique de grands travaux qui entend transformer l’avantage géographique en moteur de croissance inclusive.
Digitalisation : de la promesse à la réalité portuaire
Parmi les thèmes phares, la digitalisation s’est imposée comme fil rouge. Les experts ont détaillé l’usage de l’intelligence artificielle pour optimiser la chaîne documentaire, anticiper les congestions et renforcer la traçabilité des cargaisons. Plusieurs délégations ont partagé leurs expériences de plateformes de guichet unique, à l’instar du système congolais SydoniaWorld, cité comme exemple d’interopérabilité réussie.
Cependant, la transformation numérique pose la question cruciale de la souveraineté des données. Les participants ont plaidé pour des hébergements souverains et des protocoles de cybersécurité communs, condition sine qua non d’une mutualisation efficace. La recommandation d’ériger l’Union des conseils des chargeurs africains en chef d’orchestre de ces standards techniques témoigne d’une volonté d’aller au-delà des déclarations d’intention.
Corridors et Zlecaf : l’épine dorsale du marché unique
À cinq ans de l’opérationnalisation de la Zlecaf, les discussions ont convergé sur la question des corridors. Relier, par des infrastructures fiables, les pays enclavés aux façades maritimes constitue l’ossature du marché intérieur africain. Le corridor Pointe-Noire-Brazzaville-Bangui-Ndjamena, déjà identifié comme prioritaire par la CEA, fait figure de laboratoire. Les participants ont insisté sur le suivi de sa performance au moyen d’observatoires indépendants et sur la nécessité de lever les barrières tarifaires et para-tarifaires restantes.
L’enjeu est d’autant plus stratégique que la pandémie a révélé la fragilité des chaînes d’approvisionnement mondiales. En promouvant des corridors intelligents, capables d’intégrer douane sans papier, entrepôts sous température dirigée et financements innovants, les chargeurs entendent ancrer la relance post-COVID dans une dynamique endogène.
Diplomatie des infrastructures : un modèle congolais
De l’avis de nombreux observateurs, la tenue de ces journées au Congo illustre la crédibilité acquise par Brazzaville dans la gouvernance portuaire. En articulant pragmatisme technique et visibilité politique, le pays donne corps à une diplomatie des infrastructures qui épouse les orientations du président Denis Sassou Nguesso en matière d’intégration régionale. La ratification prochaine des règles de Rotterdam, encouragée par les participants, viendra parachever un cadre juridique propice aux investissements.
Le succès de la rencontre tient enfin à la méthode. Plutôt que d’additionner des diagnostics, les délégations ont produit une matrice d’actions, depuis la vulgarisation des Incoterms jusqu’à la création de comités nationaux de la Chambre de commerce internationale. « Ces recommandations sont notre boussole ; elles guideront la construction d’un secteur des transports robuste et performant », a conclu le directeur du Conseil congolais des chargeurs. Dans le sillage de Pointe-Noire, le continent semble désormais prêt à hisser les voiles vers une intégration plus tangible.