Une escale stratégique à Luanda
Dans la chaleur hivernale de juillet qui baigne l’Atlantique sud, la capitale angolaise a accueilli le chef de la diplomatie congolaise, Jean-Claude Gakosso. Officiellement, il s’agissait d’une visite de courtoisie. Officieusement, l’étape constituait un moment calibré où, selon plusieurs diplomates en poste à Luanda, Brazzaville et Luanda ont confirmé leur convergence de vues sur des dossiers sensibles allant de la sécurité au commerce transfrontalier. Le calendrier n’est pas anodin : l’Angola célèbre le cinquantenaire de son indépendance tandis que le président João Lourenço exerce une influence remarquée à la présidence tournante de l’Union africaine. Dans cette configuration, la venue d’un ministre congolais, mandataire direct du président Denis Sassou Nguesso, apparaît comme un signal destiné à consolider une relation à la fois historique et prospective.
La carte Matoko à l’Unesco
Au-delà des poignées de main, la délégation congolaise portait un dossier précis : la candidature de Firmin Édouard Matoko à la direction générale de l’Unesco. Ancien sous-directeur de l’organisation onusienne et fin connaisseur de ses arcanes, le diplomate promet, selon ses promoteurs, « un leadership inclusif et africain ». Brazzaville a choisi de faire valider cette candidature auprès de Luanda pour deux raisons. D’abord parce que l’Angola s’impose comme porte-voix de l’Afrique australe. Ensuite parce que la Biennale de la Paix, dont Matoko fut l’un des artisans en 2019, s’est tenue justement à Luanda, offrant un souvenir positif aux autorités locales. Cette cohérence narrative facilite la mobilisation du Groupe africain, dont l’Unesco doit théoriquement tenir compte dans son jeu d’équilibre géopolitique.
Convergence géopolitique régionale
En coulisse, les dossiers bilatéraux n’ont pas manqué. Brazzaville et Luanda partagent plus de deux mille kilomètres de frontière, un héritage colonial qui implique gestion douanière, lutte contre la contrebande pétrolière et coordination sécuritaire. Dans la remise des messages officiels, Jean-Claude Gakosso a salué l’engagement angolais en faveur de la stabilité à l’est de la République démocratique du Congo. Cette reconnaissance n’est pas seulement protocolaire : elle inscrit la diplomatie congolaise dans la logique de « complémentarité sécuritaire » prônée depuis plusieurs années par le président Sassou Nguesso, qui voit dans la paix régionale une condition sine qua non de la prospérité nationale. De son côté, Luanda mesure l’intérêt d’un voisin fiable capable de dialoguer avec tous les protagonistes du bassin du Congo.
Un tandem Brazzaville-Luanda renforcé
L’agenda diplomatique angolais est chargé : Sommet Amérique-Afrique tenu récemment, préparation du Sommet Union africaine-Union européenne et plaidoyer pour une réforme du Conseil de sécurité. Autant de fronts où Brazzaville espère trouver un allié naturel. Les déclarations de Jean-Claude Gakosso, rappelant « les liens de sang et de mémoire entre nos peuples », s’inscrivent dans une narration d’interdépendance que les deux capitales entretiennent depuis les années 1970. Observateurs et chancelleries notent que la fluidité de cette relation contraste avec les turbulences connues par certaines organisations régionales. Signe tangible, les discussions ont inclus la mise en place d’un comité conjoint chargé de suivre les engagements, du soutien à la mobilité étudiante à la facilitation des investissements croisés dans les hydrocarbures.
Perspectives d’un axe atlanto-équatorial
Si la candidature Matoko constitue le volet multilatéral le plus visible, elle n’épuise pas la portée de la mission. Plusieurs sources diplomatiques évoquent la volonté de bâtir à terme un corridor maritime Atlanto-équatorial s’appuyant sur les ports de Pointe-Noire et de Lobito. Ce projet, évoqué à demi-mots, traduirait une complémentarité logistique susceptible de sécuriser les exportations de métaux critiques congolais et d’hydrocarbures angolais. À l’heure où les partenaires traditionnels scrutent la transition énergétique, l’axe Brazzaville-Luanda pourrait ainsi peser dans la redéfinition des chaînes de valeur africaines, tout en offrant à leurs présidents la stature de médiateurs régionaux.
Engagement diplomatique et continuité politique
En confiant à Jean-Claude Gakosso un message personnel à l’attention de João Lourenço, le président Denis Sassou Nguesso confirme sa préférence pour la diplomatie de proximité, attentive aux équilibres internes des organisations continentales. Cette méthode, qui combine respect des souverainetés et recherche de consensus, a valu à Brazzaville d’être régulièrement sollicitée comme facilitateur, notamment sur le dossier centrafricain. Dans un contexte mondial fragmenté, l’entretien du dialogue avec Luanda sert d’amplificateur à cette posture. Il offre également un tremplin symbolique à l’ambition congolaise au sein de l’Unesco, organisation où l’Afrique, forte de cinquante-quatre voix, peut prétendre faire valoir une vision originale des politiques culturelles et éducatives. Les prochains mois diront si l’offensive diplomatique congolaise fera école, mais la visite de Luanda aura démontré qu’entre l’influence régionale et la présence multilatérale, Brazzaville ne souhaite pas choisir.