Un pari diplomatique au cœur du numérique africain
À l’heure où la connectivité façonne aussi bien la compétitivité économique que l’affirmation géopolitique, Brazzaville a choisi de jouer une carte résolument offensive. En présentant à Genève la candidature de Luc Missidimbazi au poste de secrétaire général de l’Union africaine des télécommunications (UAT) pour le cycle 2026-2030, la République du Congo dépasse la simple quête d’un fauteuil institutionnel. Elle manifeste la volonté de prendre part, de manière proactive, à l’architecture de gouvernance numérique continentale appelée à se complexifier sous l’effet de nouveaux acteurs et de normes technologiques concurrentes.
La scène genevoise comme caisse de résonance internationale
Le Sommet mondial de la société de l’information, rassemblant ministres et experts du numérique, offre chaque année une visibilité rare aux positions africaines. La délégation congolaise l’a bien compris, profitant du Forum francophone du numérique et de l’Intelligence artificielle pour officialiser son prétendant. L’allocution de Luc Missidimbazi, ponctuée d’appels à « une Afrique qui pèse, propose et influence », a trouvé un écho favorable chez plusieurs partenaires déjà sensibles au déséquilibre Nord-Sud en matière d’infrastructures et de standards (Union internationale des télécommunications, 2024).
Un profil national au service d’un agenda continental
Conseiller spécial du Premier ministre congolais et fondateur du Salon Osiane, Luc Missidimbazi appartient à cette nouvelle génération de décideurs où s’entrecroisent expertise technique et expérience diplomatique. Sa trajectoire, qui conjugue ingénierie des télécoms et négociation multilatérale, en fait un vecteur naturel de la stratégie portée par Brazzaville : inscrire le Congo dans le cercle restreint des capitales africaines capables d’orienter la normalisation technique sans occulter la réalité des besoins de terrain. Plusieurs délégations, dont celles du Sénégal et du Rwanda, ont salué « la cohérence de son parcours » (Agence congolaise d’information, 2025).
Connectivité, cybersécurité, souveraineté : les trois piliers du programme
Dans la lettre ouverte diffusée à Genève, le candidat a décliné un triptyque stratégique. D’abord, accélérer la connectivité universelle à l’horizon 2030 grâce à un mix d’investissements publics et de partenariats industriels. Ensuite, promouvoir sans complexe des contenus africains afin que le continent cesse d’être un simple réceptacle d’applications importées. Enfin, bâtir un cadre harmonisé de cybersécurité et de protection des données susceptible de résister aux turbulences géopolitiques. La démarche trouve un terrain favorable : l’Union africaine finalise un projet de convention sur la gouvernance des données et les États membres semblent vouloir éviter la fragmentation normative qui menace déjà d’autres régions.
Implications géoéconomiques pour Brazzaville et ses partenaires
Pour la diplomatie congolaise, obtenir la direction de l’UAT dépasse les logiques de prestige. Il s’agit d’asseoir la crédibilité d’un pays qui a investi, ces dix dernières années, dans la modernisation de ses dorsales fibre optique et entend devenir un hub de services numériques en Afrique centrale. En renforçant sa visibilité, Brazzaville espère catalyser des flux d’investissements vers les centres de données en cours de déploiement sur son territoire, tout en consolidant sa coopération avec des partenaires de référence comme la Banque africaine de développement, déjà engagée dans le Programme régional d’infrastructures de communication.
Vers un consensus africain, les marges de manœuvre diplomatiques
L’équation reste toutefois délicate. L’UAT, forte de 44 États membres, fonctionne par consensus et chaque candidature doit composer avec des équilibres sous-régionaux. Le Congo peut compter sur la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, traditionnellement favorable à une mutualisation des positions. Néanmoins, certains pays d’Afrique australe, à l’instar de l’Afrique du Sud, examinent encore les offres de programme avant de se prononcer. Les semaines précédant l’élection, prévue lors de la prochaine conférence des plénipotentiaires, seront donc cruciales pour convertir les déclarations d’intention en soutiens formels.
Au-delà de l’élection, un test pour la gouvernance du cyberespace africain
Quelle que soit l’issue du scrutin, la campagne de Brazzaville aura, déjà, contribué à installer durablement la question de la souveraineté numérique dans le débat continental. En plaidant pour une voix africaine plus audible, le Congo s’inscrit dans la continuité des orientations régionales favorables à l’inclusion et à la résilience technologique. Aux yeux des diplomates présents à Genève, l’exercice rappelle qu’à l’ère du cloud et de l’intelligence artificielle, la maîtrise des réseaux équivaut de plus en plus à la maîtrise de son destin. Le rendez-vous électoral de l’UAT se transforme ainsi en baromètre de la capacité africaine à parler d’une seule voix ; Brazzaville, pour sa part, a déjà fait entendre la sienne avec clarté et détermination.