Le Chan, laboratoire d’influence régionale
Dans l’écosystème géopolitique africain, les compétitions de football constituent depuis plusieurs années un terrain d’affirmation silencieuse des États. Le Championnat d’Afrique des Nations, réservé aux joueurs évoluant dans leurs championnats nationaux, offre au Congo-Brazzaville une tribune privilégiée : celle de démontrer que sa politique sportive épouse l’ambition de stabilité et d’ouverture prônée par les autorités. Le premier match, prévu le 5 août à Zanzibar face au Soudan, promet d’être plus qu’une simple confrontation sportive ; il s’érige en vitrine du savoir-faire congolais en matière de formation domestique.
Une visite stratégique au Centre technique d’Ignié
Samedi 19 juillet 2025, le président de la Fédération congolaise de football, Jean Guy Blaise Mayolas, a conduit l’ensemble du Comité exécutif dans l’enceinte verdoyante du Centre technique d’Ignié. Situé au nord de la capitale, ce complexe réhabilité après la levée de la sanction de la Fédération internationale illustre la volonté de Brazzaville de consolider des infrastructures pérennes. Aux côtés du sélectionneur Barthélemy Ngatsono et de son adjoint Cédric Nanitélamio Matondo, le patron de la Fécofoot a délivré un message à double portée : encourager la rigueur sportive et rappeler, selon ses mots, « la mission de représentation nationale qui incombe à chaque joueur ».
Discipline interne et soft power congolais
La recommandation présidentielle de « discipline avant tout » n’est pas qu’un impératif d’entraînement. Dans la diplomatie contemporaine, la cohérence comportementale des délégations nationales alimente la perception internationale. Le Congo-Brazzaville, engagé ces dernières années dans un effort constant de modernisation, sait que l’image projetée par ses équipes reflète indirectement la capacité de l’État à orchestrer ses politiques publiques. Cette cohérence, ardemment défendue par le ministre des Sports, vise aussi à fidéliser des partenaires techniques étrangers désireux d’investir dans le football congolais – domaine où le capital-sympathie joue souvent un rôle catalyseur.
Une relocalisation logistique à forte valeur symbolique
Annoncée par Jean Guy Blaise Mayolas, la décision de transférer le camp d’internement des Diables-Rouges A’ vers un site offrant davantage de sérénité administrative traduit une approche pragmatique. En diplomatie sportive, la maîtrise de la logistique s’apparente à une déclaration de sérieux ; elle garantit que les athlètes restent concentrés sur l’essentiel à mesure qu’approche la confrontation avec le Sénégal, champion en titre, le 12 août. De fait, l’État entend éviter la répétition des infortunes bureaucratiques qui, par le passé, ont entravé des sélections africaines sur les scènes internationales.
Modernisation infructueuse ou pari gagnant ?
Certains observateurs évoquent l’écueil d’un effectif manquant de matches compétitifs avant le tournoi. Toutefois, des responsables techniques affirment que « l’important reste la qualité, pas la quantité ». L’argument s’appuie sur la politique nationale d’identification des talents, impulsée depuis plusieurs années en partenariat avec les centres de formation locaux. La récente reprise des activités à Ignié, où les joueurs bénéficient désormais de surfaces d’entraînement conformes aux standards de la Confédération africaine de football, participe à la structuration d’un écosystème voulu vertueux. Ainsi, le gouvernement escompte que le Chan servira de banc d’essai à l’ensemble de ses réformes, allant du management sportif à la diplomatie économique liée aux droits télé.
Au-delà du terrain : rayonnement régional et cohésion interne
Sur le plan régional, la présence du Congo-Brazzaville dans le Groupe D, aux côtés du Soudan et du Sénégal, revêt une signification subtile. Elle place la sélection dans un triangle diplomatique où chaque match est un signal. Face au Soudan, pays en transition institutionnelle, Brazzaville pourra témoigner de son soutien à la stabilité continentale en respectant scrupuleusement les protocoles sportifs. Face au Sénégal, modèle de gouvernance footballistique, il s’agira d’affirmer que le Congo-Brazzaville reste un interlocuteur compétitif et fiable.
Sur le plan intérieur, la mobilisation autour des Diables-Rouges A’ nourrit l’unité nationale. Les autorités, conscientes de la capacité fédératrice du football, multiplient les messages d’encouragement. « Nous voulons que chaque citoyen se reconnaisse dans la détermination des joueurs », confie un conseiller au palais présidentiel. Dans un contexte où la cohésion sociale demeure au cœur de la stratégie de développement, le Chan apparaît comme un catalyseur d’enthousiasme et de confiance.
Perspective : héritage et continuité institutionnelle
Au terme de la visite, le sentiment dominant est celui d’une préparation qui dépasse le seul horizon d’août 2025. Les investissements dans le Centre technique d’Ignié et la professionnalisation de l’encadrement visent à inscrire la politique sportive dans la durée. Les partenaires internationaux consultés soulignent que la constance institutionnelle affichée par Brazzaville renforce l’attractivité du pays pour des coopérations diversifiées, qu’elles soient sportives, économiques ou académiques.
En définitive, la visite du Comité exécutif de la Fécofoot illustre la manière dont la République du Congo, sous l’impulsion du président Denis Sassou Nguesso, mobilise le sport comme outil de soft power. Si la performance sur le terrain reste la variable la plus visible, c’est bien l’orchestration méthodique des conditions de cette performance qui confère une profondeur stratégique à l’initiative. Dans cette perspective, chaque passe réussie, chaque dispositif logistique et chaque discours d’encouragement s’additionnent pour matérialiser une diplomatie du ballon rond assumée et, potentiellement, porteuse de dividendes nationaux durables.