Le cadre du Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs
Lancé par l’Union africaine en 2003, le Mécanisme Africain d’Évaluation par les Pairs s’est donné pour ambition de promouvoir une gouvernance vertueuse par l’auto-examen et la comparaison entre pairs. La Tanzanie est l’un des premiers États à avoir accepté ce regard extérieur et intérieur. Vingt ans après l’adhésion, le pays prépare sa seconde revue, moment hautement symbolique où la voix de la société civile est, selon le Secrétariat de l’UA, « un pilier indispensable de la crédibilité du processus ».
Une coalition citoyenne en première ligne analytique
Le rapport co-rédigé en 2024-2025 par le South African Institute of International Affairs et le Tanzania Citizens’ Information Bureau étonne par l’ampleur du dialogue inclusif qu’il a suscité. « Près de trois cents consultations publiques ont nourri la plume des rédacteurs », confirme Mme Anna Mwakatumbula, coordinatrice nationale du TCIB. Dans un paysage associatif longtemps contraint, la démarche illustre une dynamique d’ouverture où acteurs communautaires, universitaires et médias se sont efforcés de documenter les dix domaines clés retenus.
Union tanzanienne : entre résilience institutionnelle et attentes de réforme
Le rapport revient d’abord sur la singularité de l’union entre la Tanzanie continentale et Zanzibar. Les chercheurs saluent la stabilité politique qu’a garantie cette architecture bicéphale depuis 1964, tout en relevant des interrogations relatives à la répartition des compétences fiscales et judiciaires. Selon le professeur Mussa Haji, constitutionnaliste à l’Université de Dar es-Salaam, « l’évolution du droit de l’union devra concilier l’autonomie revendiquée à Zanzibar et l’indivisibilité de la souveraineté nationale ». La seconde revue du Mécanisme offre, au demeurant, une fenêtre diplomatique pour clarifier les mécanismes de résolution de différends entre les deux entités.
Droits fondamentaux et espace civique : nuances dans le diagnostic
S’agissant des libertés publiques, le texte souligne les avancées récentes — dépénalisation partielle de la diffamation, lancement d’un registre unifié des ONG, mise en place de tribunaux itinérants — tout en pointant la persistance de dispositions légales restrictives. L’accent est mis sur la protection des défenseurs des droits humains et la lutte contre les détentions préventives prolongées. Le ministère de la Justice, sollicité pour réaction, rappelle que « les réformes procédurales souhaitées par les ONG sont déjà intégrées à la feuille de route 2025-2030 ». Le rapport note enfin l’amélioration sensible de la notation de la Tanzanie dans l’Indice Ibrahim, passée de 55,7 en 2021 à 58,3 en 2023, signe qu’une trajectoire positive n’exclut pas la vigilance.
Jeunesse, climat, finances publiques : trois chantiers transversaux
Les organisations signataires consacrent un chapitre entier à la jeunesse, force vive représentant plus de 60 % de la population. Emploi décent, inclusion numérique et participation électorale figurent parmi les priorités énumérées. Sur le front climatique, le rapport insiste sur la vulnérabilité de la Tanzanie aux phénomènes cycloniques et plaide pour un fonds national de justice climatique abondé par les recettes minières. Enfin, la gestion des finances publiques est passée au crible : si la digitalisation des marchés publics a réduit les délais de paiement de 38 %, la société civile réclame une consolidation des capacités de l’organe supérieur de contrôle pour assurer la traçabilité des dépenses d’infrastructures.
Perspectives régionales et diplomatiques
La publication offre une grille de lecture utile à d’autres capitales africaines engagées dans l’APRM, qu’il s’agisse de Pretoria, de Brazzaville ou d’Addis-Abeba. Le ministre tanzanien des Affaires étrangères, M. January Makamba, y voit « un instrument de diplomatie préventive, capable de désamorcer des tensions avant qu’elles ne cristallisent ». En filigrane, la Tanzanie veut montrer que la critique constructive peut se conjuguer avec loyauté institutionnelle. À l’heure où le multilatéralisme continental cherche des exemples tangibles de réforme endogène, l’exercice tanzanien rappelle que la sincérité de l’auto-évaluation dépend moins du verdict final que de la qualité du chemin parcouru pour y parvenir.