La bascule post-hydrocarbures gagne en épaisseur
Longtemps cantonnée aux cénacles universitaires, la réflexion congolaise sur l’après-pétrole vient de franchir un palier institutionnel. Réunis à Brazzaville sous la houlette du coordonnateur national de la Rencontre pour la paix et les droits de l’homme, Christian Mounzéo, plus de cinquante décideurs publics, partenaires techniques et financiers, représentants de la société civile et journalistes se sont plongés, deux jours durant, dans le défi fondamental de la transition énergétique. L’initiative a reçu le plein appui des ministères sectoriels, illustrant la volonté du gouvernement de voir converger expertise indépendante et priorités nationales.
Une méthodologie concertée, gage de cohérence
Trois panels successifs ont égrené, avec méthode, les jalons d’une diversification qui se veut tour à tour juste, équitable et inclusive. Conformément aux orientations retenues, la démarche repose sur un principe cardinal : nulle réforme ne doit se couper des réalités sociales ni des équilibres macro-économiques. « La diversification ne peut demeurer un slogan », a rappelé avec pragmatisme Rosine Olga Mayela Ossombi, directrice générale par intérim du développement durable. La gouvernance proposée privilégie ainsi une approche intersectorielle, afin que les ministères des Finances, de l’Énergie, de l’Environnement ou encore de la Formation professionnelle mobilisent leurs leviers de manière complémentaire.
Neuf orientations au cœur de la pré-feuille de route
À l’issue d’intenses travaux en carrefours, les participants ont dégagé neuf axes stratégiques. Ils vont de la promotion des énergies renouvelables – hydroélectricité, solaire et biomasse en tête – à l’affermissement des cadres réglementaires, en passant par la diversification des chaînes de valeur locales, l’équité territoriale, la transparence de la gouvernance énergétique ou encore la mobilisation des partenaires financiers multilatéraux. Les capacités techniques et la sensibilisation du grand public complètent ce canevas qui se veut à la fois réaliste et ambitieux. En filigrane, la recherche d’un équilibre subtil entre souveraineté économique et adhésion citoyenne s’affirme comme leitmotiv.
Financements innovants et diplomatie climatique
Le succès de la pré-feuille de route dépendra largement de la faculté du Congo à sécuriser des ressources pérennes. La diplomatie congolaise compte jouer à plein des mécanismes climat, à commencer par le Fonds vert pour le climat et les guichets de transition énergétique de la Banque africaine de développement. Dans l’entourage des négociateurs, on souligne que la qualité du dialogue actuellement noué avec ces partenaires pourrait catalyser des enveloppes dédiées aux infrastructures vertes, tout en valorisant la position stratégique du pays au sein du Bassin du Congo, deuxième poumon écologique de la planète.
Capacités nationales : un impératif de montée en gamme
Derrière la question des capitaux, se profile le défi des compétences. La feuille de route prévoit un volet robuste de renforcement des savoir-faire locaux, qu’il s’agisse des ingénieurs de réseaux électriques, des juristes spécialisés en contrats carbone ou des collectivités appelées à piloter des projets décentralisés. Les universités, les centres de recherche et les entreprises publiques sont encouragés à tisser des partenariats avec des institutions étrangères afin d’internaliser technologies et bonnes pratiques. Pour Brazzaville, l’investissement dans le capital humain constitue la condition sine qua non d’une économie moins tributaire des cours du Brent.
Un alignement politique perçu comme décisif
Les observateurs saluent la dynamique de consultation mais pointent la nécessité d’un portage politique constant. Plusieurs intervenants ont souligné que la réussite de la transition exigera des arbitrages budgétaires clairs, un suivi-évaluation transparent et une communication continue envers les populations. « Nous devons transformer le consensus technique en décisions exécutoires », a insisté Christian Mounzéo, invitant les institutions à inscrire les neuf axes dans la programmation quinquennale de l’État. Les signaux envoyés par les autorités, qui ont multiplié les références à l’économie verte dans leurs prises de parole récentes, nourrissent un optimisme mesuré.
Perspectives régionales et stabilité géostratégique
Au-delà de ses frontières, le Congo cherche à coordonner ses efforts avec la Communauté économique des États de l’Afrique centrale, convaincu qu’une transition énergétique concertée renforcera la sécurité collective et la compétitivité régionale. L’interconnexion des réseaux électriques, la mutualisation des expertises et la standardisation des cadres juridiques sont déjà à l’étude. Cette articulation régionale conforte la place du pays comme acteur modéré, soucieux d’un multilatéralisme pragmatique fidèle à la tradition diplomatique de Brazzaville.
De la consultation à l’exécution : l’heure des choix
La table-ronde de juillet 2025 s’affirme comme un jalon stratégique d’une trajectoire que le gouvernement entend consolider. La prochaine étape repose sur la remise officielle de la pré-feuille de route et l’initiation de rencontres territoriales destinées à affiner, province par province, les priorités d’investissement. En transformant cet élan consultatif en politiques publiques structurantes, le Congo-Brazzaville espère inscrire sa mutation énergétique dans la durée, tout en préservant la stabilité macroéconomique et la cohésion sociale qui constituent, depuis plusieurs années, des atouts reconnus de sa gouvernance.