Entre ambitions européennes et réalités locales
Lorsqu’en septembre dernier la Délégation de l’Union européenne en Somalie a retenu Amarante pour assurer la protection d’un programme de stabilisation institutionnelle, nombre d’observateurs y ont vu la consécration d’un champion tricolore en pleine ascension. L’entreprise, forte de ses références au Sahel et dans le Golfe arabo-persique, entendait démontrer qu’elle pouvait conjuguer standards européens, compréhension des cultures locales et optimisation budgétaire. Or, à peine la phase de déploiement achevée, plusieurs voix internes ont fait remonter des difficultés d’adaptation du dispositif au maillage sécuritaire très fragmenté de Mogadiscio. La capitale somalienne concentre en effet des groupes armés polyvalents et des milices d’auto-défense dont l’allégeance est mouvante, compliquant la lecture tactique et la gestion des escortes civiles.
Selon un consultant européen présent sur place, « la cote d’alerte est vite atteinte lorsque conviennent des clauses de mobilité qui, sur le papier, paraissent classiques ». Les règles strictes imposées par Bruxelles en matière de droits fondamentaux et de compliance se heurtent parfois à la nécessité d’obtenir, dans l’instant, le bon agrément clanique pour franchir un check-point. Cette dialectique entre orthodoxie réglementaire et pragmatisme de terrain explique une partie des ajustements contractuels opérés par Amarante dès février.
Un marché concurrentiel soumis à des contraintes logistiques
La concurrence n’offre aucun répit aux opérateurs occidentaux. Les firmes turques, émiriennes ou sud-africaines, déjà bien implantées dans la corne de l’Afrique, ont l’avantage d’une logistique intégrée et de chaînes d’approvisionnement courtes. Amarante, certes adossée à des partenaires locaux, doit néanmoins faire venir depuis Djibouti ses équipements individuels balistiques et une partie de ses véhicules blindés. Or la route côtière entre Bossasso et Mogadiscio demeure l’une des plus périlleuses de la région, ce qui renchérit les assurances et rallonge les délais de transit.
Les fluctuations du shilling somalien et la flambée du prix des carburants – amplifiées par la crise énergétique mondiale – ont également alourdi la facture opérationnelle. Dans ce contexte, la société française a dû revoir ses termes de facturation avec certains sous-traitants pour éviter que les surcoûts ne se répercutent intégralement sur le budget européen. Le directeur de projet d’Amarante à Mogadiscio concède que « le pilotage financier devient un exercice de haute-voltige, mais il reste préférable à une suspension de la mission, qui fragiliserait la visibilité de l’UE ».
La gestion du capital humain, talon d’Achille des missions extérieures
Si les questions budgétaires occupent le devant de la scène, la dynamique sociale n’est pas moins cruciale. Plusieurs consultants recrutés pour la première phase ont dénoncé l’évolution de leurs conditions contractuelles, estimant que la nouvelle grille de rémunération ne compensait pas le haut niveau de risque. Certains ont engagé une médiation auprès de la direction parisienne, appuyés par un cabinet d’avocats basé à Londres. Pour l’heure, aucun recours judiciaire n’est engagé, mais le psychodrame souligne la tension qui peut naître entre impératifs de rentabilité et fidélisation des compétences.
Amarante assure que la révision des contrats se fonde sur des critères objectifs, notamment la fréquence des sorties hors périmètre sécurisé et l’évolution des primes d’assurance-vie. Un médiateur externe, ancien officier de la MINUSOM, vient d’être mandaté pour faciliter le dialogue. La démarche, saluée par certains employés, illustre la volonté du groupe de préserver sa réputation d’employeur responsable, atout essentiel pour continuer à attirer des profils expérimentés sur des théâtres à forte intensité sécuritaire.
Pistes d’adaptation et signaux rassurants pour les bailleurs
En dépit des turbulences initiales, les bailleurs institutionnels affichent un optimisme prudent. Un représentant de la Commission européenne rappelle que « l’aptitude à réviser rapidement un dispositif au regard des enseignements tirés constitue, in fine, un gage de professionnalisme ». Amarante a ainsi renforcé son audit interne, délégué davantage de responsabilités à ses partenaires somaliens et étoffé son processus de due diligence pour les prestataires locaux.
Sur le plan opérationnel, la firme vient de déployer un centre de coordination numérique doté d’une cartographie prédictive des incidents. Ce nouvel outil, cofinancé par un fonds français d’innovation duale, devrait permettre de réduire les temps de réaction et d’anticiper les mouvements de flux civils lors d’opérations de désenclavement. Les premières données partagées avec la délégation européenne montrent une baisse de 17 % des journées à risque élevé depuis mars.
Tandis que Mogadiscio s’apprête à accueillir de nouvelles conférences régionales sur la sécurité maritime, il n’est pas anodin qu’une société européenne, certes perfectible, affirme sa capacité d’adaptation dans un environnement aussi mouvant. La trajectoire d’Amarante rappelle, au-delà de la controverse, la réalité d’une Somalie encore marquée par des équilibres politico-sécuritaires fragiles, où chaque acteur est condamné à l’agilité. Dans cette équation, le groupe français cherche moins à briller qu’à durer — une orientation qui, à moyen terme, pourrait rassurer les bailleurs multilatéraux et soutenir la stabilisation institutionnelle du pays.