Visas falsifiés : un marché clandestin enfin mis à nu
Dans un pays où l’émigration illégale s’érige parfois en ultime horizon de mobilité sociale, la fabrication de visas contrefaits a longtemps prospéré à l’abri des regards. Le verdict prononcé récemment par le tribunal de Dar El Beïda, à l’issue d’une procédure minutieuse, balaie désormais toute illusion de tolérance. Six ans de réclusion et des amendes atteignant deux cent mille dinars frappent les cerveaux d’un réseau qui opérait sous la façade anodine d’une agence de voyages à Béjaïa. Les magistrats ont voulu faire œuvre d’exemplarité, estimant que ces « visas fantômes » minaient la sécurité documentaire et ternissaient l’image du pays auprès de ses partenaires européens.
Arrestations en cascade et preuve numérique : l’enquête se veut irréprochable
Tout est parti d’un contrôle apparemment routinier à l’aéroport Houari-Boumédiène le 19 juin 2024. L’interpellation d’un passager en partance pour Barcelone, porteur d’un cachet Schengen plus vrai que nature, a ouvert une brèche. De filatures policières en analyses d’appels, les enquêteurs ont reconstitué un circuit où le passeport trafiqué se négociait entre cinquante et deux cent vingt millions de centimes, selon la destination. Les téléphones saisis – périmètre de plus en plus décisif de la preuve en matière pénale – ont livré des conversations évoquant la France, l’Espagne mais aussi le Canada, révélant l’ambition transcontinentale des faussaires. Confrontée aux échanges incriminants, l’employée I. Sabrina a tenté de relativiser son rôle avant d’admettre la gestion des paiements et le suivi des faux dossiers familiaux, soulignant malgré elle le degré d’organisation atteint par la filière.
Transferts illicites de devises : l’ingénierie financière au service de la fraude
Au-delà du feuilleton consulaire, la vigilance des procureurs s’étend désormais aux flux monétaires. Les frères W.M. Saïd et W. Hamid, dirigeants de Mictotem Training Institute, sont poursuivis pour avoir externalisé des capitaux via des factures fictives, échappant ainsi à l’autorisation de la Banque d’Algérie. Le parquet a requis quinze ans de prison ferme et huit millions de dinars d’amende, tandis que le Trésor public, partie civile, évalue le préjudice à cinq cents milliards de dinars. Selon un haut fonctionnaire des finances, « la surfacturation de services immatériels reste la faille préférée des fraudeurs, car elle se dissimule derrière la complexité des contrats internationaux ». En ciblant cette mécanique, la justice répond aux inquiétudes sur l’érosion des réserves de change et la volatilité du dinar.
Signal politique et impératif de crédibilité économique
Les condamnations récentes s’inscrivent dans la lignée d’affaires retentissantes, de l’affaire Khalifa au scandale des surfacturations pharmaceutiques de 2019. Chaque fois, la leçon semble la même : une économie largement administrée crée, par ses propres entraves, des poches de contournement légal. Pour un ancien diplomate en poste à Alger, « la véritable nouveauté n’est pas la fraude, mais la détermination affichée du parquet à briser l’impunité ». À l’heure où le gouvernement courtise l’investissement étranger et négocie des accords commerciaux, la crédibilité du cadre réglementaire devient une monnaie plus précieuse encore que les dinars sortis illicitement.
Vers une gouvernance renforcée et un contrôle plus fin des mobilités
En coulisses, la Banque d’Algérie peaufine un système de traçabilité numérique des paiements transfrontaliers, tandis que le ministère de la Justice envisage d’élargir sa coopération avec Europol et Interpol afin de suivre la route des documents falsifiés. Des juristes plaident pour la création de pôles judiciaires spécialisés, sur le modèle français du Parquet national financier, estimant qu’une expertise concentrée accélérerait la détection des montages. De leur côté, les chancelleries européennes, régulièrement confrontées à des visas apocryphes, saluent officieusement l’initiative algérienne. À court terme, le sentiment d’« État répressif » pourrait nourrir la défiance de certains investisseurs, mais le pari gouvernemental est clair : seule une justice intransigeante peut restaurer la confiance et stabiliser une économie soumise aux aléas pétroliers.