Regards croisés sur une clinique qui attire la planète
Dans l’extrême-ouest chinois, à Kashi, la bâtisse blanche et sobre du principal hôpital de médecine traditionnelle s’est métamorphosée, le temps d’une matinée, en forum mondial de la santé intégrative. Rassemblant des reporters originaires d’Asie, d’Europe et d’Afrique centrale – parmi lesquels plusieurs confrères de Brazzaville –, la délégation a immédiatement perçu l’ampleur d’un phénomène qui dépasse la stricte sphère thérapeutique. Car derrière l’arôme entêtant des herbes séchées et le crépitement feutré des aiguilles d’acupuncture se dessine une diplomatie douce, fondée sur l’échange de savoirs et la recherche d’un bien-être partagé.
Le vice-directeur de l’établissement, le docteur Zhang Qingyu, résume l’esprit de l’invitation en termes aussi clairs que mesurés : « La santé constitue un langage universel ; elle précède et dépasse la politique. » Une assertion qui trouve un écho particulier au sein d’institutions congolaises désireuses de diversifier leur offre de soins, tout en préservant l’accessibilité financière des traitements.
Les fondements théoriques : harmonie du corps, de l’esprit et du milieu
La médecine traditionnelle chinoise (MTC) s’appuie sur une cosmologie où le Qi – flux vital – circule à travers des méridiens et se régule selon la dynamique Yin-Yang. Cette conception, forgée bien avant l’ère Chrétienne, refuse l’approche organo-centrée de la biomédecine moderne pour privilégier une lecture systémique des déséquilibres. Les praticiens rencontrés rappellent que la fièvre, la fatigue ou la nervosité ne sont que la partie émergée d’un trouble plus profond impliquant émotions, nutrition, voire qualité de l’air.
Cette perspective globale séduit de nombreux décideurs africains en quête de stratégies préventives contre la croissance des maladies chroniques non transmissibles. Les ministres congolais de la Santé successifs ont, à plusieurs reprises, souligné la compatibilité entre les logiques holistiques de la MTC et les pharmacopées traditionnelles d’Afrique centrale, ouvrant la voie à des protocoles de recherche transcontinentaux.
Entre salles de consultation et laboratoires à forte valeur ajoutée
Au cours de la visite, les journalistes ont pu observer une mosaïque de thérapies : acupuncture assistée par guidage ultrasonique, ventouses chauffées à la moxibustion d’armoise, séances de traction Redcord destinées à la rééducation musculo-squelettique, sans oublier les décoctions élaborées dans une officine au contrôle qualité rigoureux. Le recours à l’imagerie médicale – tomodensitomètres de dernière génération – atteste d’un dialogue constant entre tradition et haute technologie.
Quelques volontaires de la presse se sont prêtés au jeu d’une brève stimulation auriculaire, méthode réputée apaiser le stress et rééquilibrer la fréquence cardiaque. Les réactions, oscillant entre curiosité professionnelle et étonnement sincère, ont confirmé la valeur pédagogique de l’immersion. « On comprend mieux l’engouement populaire pour ces pratiques », concède un reporter congolais. Les praticiens insistent toutefois sur la formation universitaire exigée : un cursus de cinq à huit ans sanctionné par un examen national, gage d’une standardisation acceptée par l’Organisation mondiale de la Santé.
Un instrument de coopération Sud-Sud en plein essor
La MTC n’est plus l’apanage du seul marché chinois. Selon les chiffres présentés par la Commission nationale de la santé, plus de 70 % de la population chinoise y recourt régulièrement, soit environ 980 millions de consultations par an. Mais le véritable indicateur de son ascension réside dans les cent cinquante accords bilatéraux de coopération sanitaire déjà conclus, dont une dizaine avec des États d’Afrique subsaharienne.
Brazzaville et Beijing ont signé, en 2019, un protocole facilitant l’envoi de missions médicales spécialisées dans la prévention du paludisme et la prise en charge de la drépanocytose, pathologie endémique au Congo. À l’hôpital central de la capitale congolaise, un service pilote d’acupuncture géré conjointement par des médecins congolais et chinois affiche des indicateurs de satisfaction jugés encourageants par l’Agence congolaise de normalisation. Cette collaboration nourrit également la diplomatie économique, le commerce des plantes médicinales pouvant devenir un créneau d’exportation non pétrolier pour le Congo.
Vers une souveraineté thérapeutique partagée
Les observateurs géopolitiques entrevoient, derrière l’engouement pour la MTC, une quête plus large de souveraineté sanitaire. Les ruptures d’approvisionnement en médicaments occidentaux, vécues durant la pandémie, ont rappelé la vulnérabilité des chaînes logistiques africaines. Cultiver localement l’armoise, la réglisse ou le ginseng pourrait réduire la dépendance tout en stimulant l’agro-industrie. À Kashi, des partenariats de transfert de technologie en phytopharmacie ont été évoqués discrètement par les représentants congolais, soucieux de diversifier la base productive nationale conformément aux orientations publiques.
Le plus grand défi demeure la régulation. Harmoniser les normes de sécurité, bâtir des banques de données toxicologiques et reconnaître les diplômes transfrontaliers seront des étapes déterminantes pour crédibiliser l’offre. Des universitaires de l’École nationale supérieure des sciences et techniques de la santé de Brazzaville, présents dans la délégation, ont confirmé le lancement d’un programme de master conjoint orienté vers la recherche clinique comparative, financé par l’Agence Chinoise de Coopération Internationale pour le Développement.
À l’issue de la visite, l’impression dominante est celle d’une convergence de besoins et d’intérêts. La médecine traditionnelle chinoise, en s’institutionnalisant, propose un savoir plurimillénaire comme ressource contemporaine pour les systèmes de santé en quête d’efficacité et de résilience. Pour les diplomates comme pour les praticiens, l’aiguille d’acupuncture devient ainsi l’aiguille de la boussole : elle indique une voie de dialogue constructive, fondée sur la complémentarité plutôt que sur la concurrence.