Le grand plongeon financier de l’aide internationale : chiffres et réalités
Lorsque Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développement (AFD), évoque devant la Commission des Finances de l’Assemblée nationale une « baisse de 60 milliards de dollars en une seule année », l’auditoire mesure mal l’ampleur de la secousse. Le volume global de l’aide publique au développement (APD) s’élevait encore à quelque 211 milliards de dollars en 2024, selon le Comité d’aide au développement de l’OCDE. La contraction prévue pour 2025 représente donc près d’un tiers de l’effort consentis par les bailleurs. Jamais, depuis la création des instruments modernes de coopération dans l’après-guerre, un tel recul n’avait été enregistré en temps de paix.
Le retrait américain : stratégie budgétaire ou repli géopolitique ?
Au cœur du séisme se trouve la décision de Washington de fermer l’USAID le 8 février 2025. Le Congrès, dominé par une majorité désireuse de rapatrier les ressources vers les infrastructures nationales, a validé l’extinction pure et simple de l’agence créée en 1961. Quarante milliards de dollars s’évaporent instantanément, soit l’équivalent du PIB annuel du Liberia. Pour la Maison-Blanche, il s’agit d’« optimaliser la dépense publique dans un contexte inflationniste » ; pour nombre de chancelleries, c’est le signe d’un désengagement stratégique, symptomatique d’un recentrage américain sur la rivalité sino-américaine plutôt que sur la stabilité du Sud global. « Les États-Unis se retirent d’un théâtre où leur influence douce était pourtant redoutablement efficace », glisse un diplomate européen en poste à New York.
Effets domino : l’Europe face à ses propres arbitrages austéritaires
Le choc américain précipite les recalibrages budgétaires déjà à l’œuvre sur le Vieux Continent. Sous la pression d’un électorat préoccupé par la maîtrise des déficits, plusieurs États membres de l’Union européenne ont réduit leurs crédits de coopération de 10 % en moyenne. Paris n’échappe pas à la tendance : selon M. Rioux, l’AFD perdra la moitié de ses ressources budgétaires en 2025, « un choc que peu d’agences ont connu dans l’histoire de la République ». Berlin, pour sa part, a gelé 2,3 milliards d’euros de projets relevant du ministère fédéral de la Coopération économique et du Développement. Rome, confrontée à un endettement dépassant 140 % du PIB, a coupé dans les lignes consacrées au climat. Ainsi, de Lisbonne à Stockholm, l’APD cesse d’être la variable d’ajustement subtile qu’elle fut, pour devenir la ligne sacrificielle la plus rapide à activer.
Les vulnérabilités exposées des pays partenaires, de Bamako à Dacca
La réduction de l’aide ne se traduit pas par une simple écriture comptable ; elle se matérialise dans les systèmes de santé primaire au Sahel, les cantines scolaires de l’océan Indien ou les programmes de résilience climatique du delta du Gange. La Banque mondiale anticipe déjà un déficit de financement de 4 milliards de dollars pour les objectifs sanitaires des pays à faible revenu. « Les pays les plus pauvres risquent de payer le prix fort », a averti M. Rioux. Au Mali, dont le budget national dépend à hauteur de 18 % de l’aide extérieure, le ministère des Finances annonce un moratoire sur plusieurs projets d’adduction d’eau. Au Bangladesh, le Programme national d’adaptation au changement climatique suspend l’extension de digues côtières, faute de subventions européennes. Ce faisceau de renoncements pourrait accélérer les mouvements migratoires et nourrir des crises politiques dont le coût, à moyen terme, excédera largement les économies réalisées aujourd’hui.
Vers un multilatéralisme à géométrie variable : quelles options pour 2026 ?
La quatrième Conférence des Nations unies pour le financement du développement, prévue à Séville, s’annonce comme l’exercice de créativité diplomatique le plus délicat depuis Monterrey en 2002. Plusieurs pistes circulent déjà : bancariser davantage les droits de tirage spéciaux du FMI, mobiliser les fonds souverains du Golfe et d’Asie ou instaurer une taxe minimale sur les transactions financières numériques. Paris plaide pour un « New Deal pour les biens publics mondiaux », concept que Berlin soutient prudemment. Pékin, de son côté, oppose un silence stratégique, tandis que New Delhi se présente volontiers en champion du « Sud global ». Reste à savoir si cette mosaïque d’initiatives pourra compenser la disparition brutale d’un donneur majeur. Sans un accord sur la gouvernance et la transparence des flux, les montants promis risquent de demeurer virtuels.