Agadir en toile de fond d’une ambition continentale
Il est des villes qui, le temps d’un événement, se transforment en observatoires du continent. Du 23 au 29 juin 2025, Agadir a endossé ce rôle en accueillant la première Académie d’Été EPIK Leaders. Derrière la carte postale marine, la station balnéaire marocaine s’est muée en agora où deux cents jeunes, issus de quinze pays, ont croisé idées et projets. L’initiative, impulsée par l’entrepreneur tunisien Dr Nizar Chaari, a rappelé qu’au sud de la Méditerranée se joue une partie décisive : la constitution d’élites capables d’orchestrer la coopération africaine dans un monde fracturé par la rivalité technologique et les discontinuités géopolitiques.
Les arcanes d’une pédagogie du faire
Durant sept jours, une quarantaine de participants retenus après un processus de sélection exigeant ont alterné sessions théoriques, ateliers de design thinking, visites institutionnelles et simulations de négociation. La méthode revendique le « learning by doing » qui, loin de se réduire à un slogan, impose la résolution de problèmes concrets : comment structurer une start-up dans la health-tech, articuler une campagne de plaidoyer climatique ou encore concevoir un programme d’inclusion financière à l’échelle d’une métropole. Les organisateurs parient sur l’intelligence collective pour susciter des synergies plus robustes que celles nées de formations magistrales classiques. À l’issue des travaux, plusieurs équipes ont déjà posé les bases d’un réseau d’incubateurs universitaires transfrontaliers dont la gouvernance sera assurée à tour de rôle par les chapitres nationaux.
Un capital diplomatique pour les États, Brazzaville en point de mire
Dans les couloirs de l’hôtel transformé en campus éphémère, les échanges n’ont pas échappé aux diplomates venus observer la dynamique. Un envoyé spécial de la Direction générale des affaires internationales du Congo-Brazzaville, interrogé à l’issue d’un atelier, salue « une plateforme qui épouse la vision présidentielle d’une jeunesse actrice, non spectatrice, de l’intégration africaine ». Brazzaville, qui investit depuis plusieurs années dans l’entrepreneuriat des jeunes et la diplomatie culturelle, voit dans EPIK Leaders l’occasion de diversifier ses relais d’influence en s’appuyant sur une génération polyglotte, à l’aise avec les outils numériques et familière des codes des organisations multilatérales. Le gouvernement congolais, sans faire de bruit, envisage déjà de soutenir la création d’un chapitre EPIK à l’Université Marien-Ngouabi, afin de canaliser cette expertise vers les priorités nationales, notamment la transition énergétique et l’économie bleue.
Vers une diplomatie des réseaux générationnels
Cette montée en puissance d’initiatives panafricaines portées par la jeunesse s’inscrit dans une tendance de fond : l’émergence d’une diplomatie horizontale, davantage rythmée par les plateformes collaboratives que par les calendriers protocolaires classiques. Les États y trouvent leur compte. En multipliant les points de contact informels, ils préparent leurs futures négociations formelles, qu’il s’agisse de la Zone de libre-échange continentale africaine ou des mécanismes de financement climat. Le Sénégal, le Rwanda mais aussi le Congo-Brazzaville ont envoyé des signaux convergents, saluant publiquement l’initiative et proposant d’accueillir de prochaines éditions régionales. Ces prises de position illustrent une conviction partagée : dans un contexte international où la compétition pour les talents s’intensifie, fidéliser une élite mouvante est devenu un impératif sécuritaire autant qu’économique.
Une feuille de route qui scrute 2025 et au-delà
Pour EPIK Leaders, l’après-Agadir se déclinera en trois mouvements. D’abord, le « Welcome Fest » de septembre 2025, destiné à essaimer cent clubs universitaires sur l’ensemble du territoire marocain. Ensuite, la création d’un bureau international chargé de standardiser les cursus et de mesurer l’impact social des projets incubés. Enfin, la projection d’un sommet annuel itinérant dont la session inaugurale pourrait se tenir à Brazzaville, proposition qui suscite déjà l’intérêt du ministère des Affaires étrangères congolais. Aux yeux de la directrice de formation, Dorra Baltagi, « l’enjeu est de passer du symbole à la structure ». Autrement dit, transformer l’émulation d’une semaine en architecture pérenne de collaboration, capable de résister aux aléas politiques et économiques.
Au bilan, Agadir aura fourni plus qu’un décor balnéaire : un révélateur des corrélations entre formation des leaders, influence douce et développement territorial. Le Royaume du Maroc y gagne un rôle catalyseur, tandis que des pays comme le Congo-Brazzaville identifient une nouvelle courroie de transmission pour leurs priorités stratégiques, sans renoncer à l’autonomie narrative chère au président Denis Sassou Nguesso. Dans un environnement où la jeunesse africaine représente plus du tiers de la population mondiale d’ici à 2050, articuler apprentissage, innovation et diplomatie ne relève plus du luxe mais de la précondition à toute stratégie de puissance collective.