Le pari nocturne d’Accra et la symbolique postcoloniale
Dans une allocution remarquée, le vice-président ghanéen a annoncé la mise en œuvre progressive d’une « économie 24 heures », autorisant l’ouverture continue d’industries clés, des ports aux centres de services numériques. L’initiative, inspirée des hubs asiatiques, vise à porter la croissance au-delà des 5 % attendus en 2024 (Ghana Ministry of Finance, 2023). Au-delà des indicateurs, le message diplomatique est limpide : rompre symboliquement avec l’horloge coloniale qui avait figé l’organisation du travail africain sur les fuseaux des anciennes métropoles. Les diplomates présents à l’annonce y ont vu un geste d’affirmation de souveraineté économique, une manière de dire que le continent peut produire de la valeur, de jour comme de nuit, sans attendre des injonctions extérieures.
Infrastructures et énergie : la ligne de crête entre ambition et réalisme
Passer à une activité continue suppose la disponibilité d’un mix énergétique fiable, la sécurité des zones industrielles et un capital humain apte aux rotations. Accra parie sur la montée en puissance du gaz local, du solaire en toiture et du futur port de Takoradi élargi de nuit, capables de soutenir la chaîne logistique régionale. La Banque africaine de développement souligne cependant que 32 % des PME ouest-africaines citent les coupures d’électricité comme premier frein à l’investissement (BAD, 2023). La diplomatie énergétique s’invite donc à la table : le Ghana renégocie des interconnexions avec la Côte d’Ivoire et le Togo afin d’éviter un syndrome « ville-hors-lumière ». Sur le plan social, les syndicats obtiennent un réexamen des normes de sécurité nocturne, preuve que la négociation tripartite demeure la matrice de la stabilité.
Financer le futur : des eurobonds aux guichets panafricains
La perspective d’un continent fonctionnant en mode continu soulève la question centrale de la ressource financière. Les coupes dans l’aide publique au développement – amputée d’environ 7 % en 2023 selon l’OCDE – obligent les capitales africaines à explorer des mécanismes endogènes. Le discours d’Accra converge avec celui de Brazzaville lors du récent Forum des investisseurs de la CEMAC, où le président Denis Sassou Nguesso a rappelé « l’impérieuse nécessité de mobiliser l’épargne africaine pour les infrastructures continentales ». Parmi les pistes, l’élargissement des obligations vertes libellées en monnaies locales et la mutualisation des garanties de la Zone de libre-échange continentale (ZLECAf) figurent en bonne place. Pour l’économiste kényan James Muchiri, « une bourse africaine de matières premières ouverte 24 h sur 24 serait le complément naturel du modèle ghanéen ». Encore faut-il développer une notation de crédit panafricaine pour desserrer l’étau des agences internationales, souvent jugées sévères.
L’affaire Hawa en Mauritanie : le droit, angle mort de la compétitivité
Alors que les caméras se tournent vers la performance économique, le meurtre d’Hawa, 18 ans, à Nouakchott rappelle brutalement que la prospérité ne se décrète pas hors d’un État de droit effectif. Les familles exigent un procès rapide et exemplaire, soulignant que la confiance sociétale est un actif aussi stratégique que n’importe quel pipeline. Des diplomates européens en poste à Dakar observent que la lenteur de la procédure nuit à l’image d’un Sahel désireux d’attirer des investisseurs soucieux de critères ESG. Le président mauritanien, sous la pression de la société civile, a promis des réformes pénales pour accélérer la prise en charge des victimes de violences sexuelles. Le cas illustre une vérité trop souvent éclipsée : sans institutions capables de rendre justice, l’ouverture de guichets nocturnes risque de n’être qu’une façade.
Vers une convergence économie-justice : la prochaine frontière africaine
L’économie 24 heures du Ghana, la quête de financements africains et l’exigence de justice en Mauritanie dessinent une équation unique : la pérennité du développement dépendra de la capacité des États à synchroniser réformes économiques et garanties institutionnelles. Les chancelleries régionales l’ont compris et proposent déjà des programmes de formation judiciaire financés par les recettes des fonds souverains. Dans ce panorama, la République du Congo se montre favorable à des mécanismes de partage d’expériences Sud-Sud, saluant officiellement « l’innovation ghanéenne qui renforce la compétitivité collective de l’Afrique ». De Bamako à Libreville, l’heure n’est plus à la concurrence mais à la complémentarité dynamique. Si le continent parvient à faire dialoguer turbines, marchés financiers et tribunaux, alors l’insomnie économique qui s’annonce sera moins une contrainte qu’une promesse, celle d’un réveil stratégique maîtrisé.