Abuja, miroir des ambitions continentales
L’esplanade du tout nouveau Centre international de conférences d’Abuja bruisse d’accents swahili, yoruba, lingala et wolof : plus de 6 000 délégués s’y pressent pour les trente-deuxièmes Assemblées annuelles d’Afreximbank (AAM2025). Jamais, souligne une source au ministère nigérian des Finances, l’institution n’avait rassemblé un tel aréopage de chefs d’État, de ministres du commerce, de banquiers centraux et d’industriels. La mise en scène est à la mesure d’une Afrique qui revendique haut son droit à redessiner les flux mondiaux. « Notre continent ne saurait être condamné au rôle d’appendice des chaînes de valeur occidentales », martèle le président nigérian Bola Tinubu dans un discours inaugural où il exhorte à une nouvelle grammaire commerciale sud-sud.
Fondée en 1993 pour faciliter le financement du commerce, Afreximbank affiche aujourd’hui un bilan de près de 30 milliards de dollars et se targue d’avoir mobilisé 100 milliards de facilités cumulées en trois décennies. Son président, le professeur Benedict Oramah, rappelle toutefois que 15 % à peine du commerce africain reste intra-continental : « L’heure est venue de bâtir une architecture financière panafricaine capable de résister aux chocs exogènes » (Bloomberg).
Une architecture financière panafricaine en gestation
Concrètement, les délibérations portent sur la montée en puissance du Pan-African Payment and Settlement System (PAPSS), plateforme de compensation en monnaies locales testée depuis deux ans en Afrique de l’Ouest. Le système, adossé à un fonds de garantie de 3 milliards de dollars, entend réduire de 5 milliards de frais de change annuels pour les entreprises africaines. Pour John Rwangombwa, gouverneur de la Banque nationale du Rwanda, il s’agit « d’un pas vers une souveraineté monétaire graduelle, préalable indispensable à l’union douanière » (Jeune Afrique).
Afreximbank profite aussi d’Abuja pour annoncer une augmentation de capital de 1,5 milliard de dollars, souscrite majoritairement par l’Égypte, le Nigeria et l’Algérie. Objectif : soutenir les chaînes de valeur agro-industrielles et pharmaceutiques, deux secteurs stratégiques mis à nu par la pandémie. Les bailleurs bilatéraux, à l’instar de la China Exim Bank, ne cachent pas leur intérêt pour ce tour de table, confirmant que la compétition pour l’influence financière sur le continent reste vive.
La ZLECAf face à l’épreuve du terrain
Au-delà des slogans, la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) peine encore à convaincre les opérateurs. Seuls huit pays ont entamé l’échange effectif de marchandises sous le régime préférentiel. Les logisticiens pointent la persistance de barrières non tarifaires, les douanes nigériennes exigeant par exemple des certificats redondants que leurs homologues ghanéennes ont abolis. « Rendre un tarif douanier nul ne suffit pas ; il faut fluidifier les frontières physiques et numériques », note l’économiste kényane Wanjiru Gikonyo.
Dans les couloirs d’Abuja, les débats se concentrent sur le corridor Lagos-Abidjan, représentant 70 % de la valeur manufacturière d’Afrique de l’Ouest. Afreximbank propose un mécanisme d’assurance-investissement afin de dé-risquer les infrastructures transfrontalières. Reste que l’addition est lourde : près de 15 milliards de dollars pour moderniser ports, postes frontières et réseaux ferroviaires, selon un rapport préliminaire du cabinet McKinsey.
Entre souverainisme et partenariats extrarégionaux
La présence remarquée de la directrice de l’Organisation mondiale du commerce, Ngozi Okonjo-Iweala, rappelle la délicate articulation entre aspirations souverainistes et respect des disciplines multilatérales. L’ancienne ministre nigériane des Finances plaide pour une « voix africaine unifiée à Genève », tout en avertissant que les règles d’origine de la ZLECAf devront converger avec celles de l’OMC afin d’éviter un chevauchement réglementaire.
Parallèlement, l’Union européenne et les États-Unis multiplient les annonces de financements verts, tandis que la Turquie, via Eximbank Ankara, signe un accord de co-garantie de 500 millions de dollars. La pluralité des partenaires est accueillie avec pragmatisme : « Nous acceptons tout appui qui respecte notre agenda 2063 », glisse une source de l’Union Africaine. L’ombre du découplage sino-américain plane néanmoins, chaque camp cherchant à capter les débouchés d’un marché de 1,4 milliard de consommateurs.
Perspectives d’intégration financière
Les AAM2025 s’achèveront sur l’adoption attendue d’un plan quinquennal axé sur la titrisation des portefeuilles bancaires africains et la création d’un indice de référence paneuropéen-panafricain. Si certains délégués y voient un saut qualitatif, d’autres redoutent un empilement d’initiatives sans moyens de coordination. Pour l’ancien président de la Banque africaine de développement, Donald Kaberuka, « la fragmentation des régulateurs demeure le talon d’Achille de l’intégration » (Financial Times).
En clôture, le professeur Oramah devrait rappeler que l’enjeu est autant symbolique que financier : faire d’Afreximbank la “banque centrale du commerce africain”. Qu’il s’agisse d’un slogan ou d’un cap, Abuja aura démontré que l’Afrique, forte d’une démographie vigoureuse et d’une stratégie industrielle embryonnaire, n’entend plus attendre des solutions venues d’ailleurs.