Abuja consacre une décennie de montée en puissance financière
Sous la canicule de fin juin, le centre de conférences d’Abuja vibre au rythme des apartés feutrés et des salutations protocolaires. Plus de six mille délégués — chefs d’État, ministres des Finances, banquiers centraux et capitaines d’industrie — participent à la 32ᵉ Assemblée annuelle d’Afreximbank. Le thème, « Bâtir l’avenir sur des décennies de résilience », sonne à la fois comme un hommage et comme une feuille de route. En dix ans, le bilan consolidé de la banque panafricaine est passé de 4 milliards d’euros d’actifs à un peu plus de 40 milliards, performance rare dans un paysage financier marqué par la volatilité des taux et la contraction des marges de crédit internationales (Afreximbank, 2024).
Benedict Oramah : l’ingénierie d’un leadership aux résultats tangibles
À la tribune, le professeur Benedict Oramah, chemise ivoire impeccable et verbe discipliné, dresse son dernier rapport moral avant de céder les rênes. Nommé en 2015, il a su transformer une banque essentiellement axée sur les facilités de paiement à court terme en un instrument d’investissement stratégique. Entre 2015 et 2024, plus de 70 milliards de dollars ont été mobilisés pour soutenir le commerce intra-africain et déployer une ingénierie financière sophistiquée : syndications multidevises, garanties de risque politique et fonds de capital-investissement sectoriels.
Le résultat net 2024 culmine à 973,5 millions de dollars, en hausse de 29 %. Cette hausse est d’autant plus remarquable qu’elle intervient dans un contexte où la Fed réduit son bilan et où les appétits des banques européennes pour le risque émergent se contractent. « Les chiffres parlent d’eux-mêmes et attestent d’une courbe d’apprentissage collective », confie une conseillère économique nigériane en marge des travaux.
Industrialiser pour souverainiser : l’équation africaine revisitée
L’expansion quantitative ne constitue toutefois qu’un volet d’un agenda plus structurant : l’industrialisation endogène du continent. Les financements d’Afreximbank ont, ces dernières années, ciblé la construction de raffineries intégrées, d’usines de ciment, de couloirs ferroviaires et de clusters pharmaceutiques dans huit pays. L’objectif est clair : réduire la dépendance aux importations de biens intermédiaires et créer des chaînes de valeur régionales capables de soutenir une demande domestique croissante estimée à plus de 1,4 milliard de consommateurs.
Cette stratégie épouse un discours de souveraineté économique qui séduit les capitales africaines, mais soulève aussi des questions de soutenabilité budgétaire. Plusieurs ministres des Finances, dont celui de la Côte d’Ivoire, ont rappelé que la solidité du bilan bancaire ne doit pas masquer la pression grandissante exercée sur les garanties souveraines. Le risque d’endettement contingent — particulièrement dans les secteurs pétroliers et miniers — fait désormais l’objet d’un suivi trimestriel par le comité des risques de la Banque.
ZLECAf : un chantier d’intégration autant diplomatique qu’économique
La Zone de libre-échange continentale africaine reste le fil rouge des discussions. Alors que 47 États ont déjà ratifié l’accord, la mise en œuvre opérationnelle est encore disparate. Afreximbank propose une facilité d’ajustement de 10 milliards de dollars destinée à compenser les pertes tarifaires initiales et à financer les infrastructures douanières numériques. Le président ghanéen Nana Akufo-Addo a salué « la cohérence d’un instrument financier qui parle enfin le langage de l’intégration ».
Cependant, plusieurs délégations soulignent la nécessité d’un arrimage normatif plus robuste. L’absence de mutualisation des régimes de propriété intellectuelle et le morcellement des régulateurs bancaires régionaux risquent de freiner la libre circulation des biens. Le gouverneur de la Banque centrale du Kenya a ainsi plaidé pour la création d’un passeport bancaire continental afin de réduire les coûts de conformité et d’uniformiser les règles prudentielles.
Succession et perspectives : maintenir le cap dans un environnement volatil
La question de la succession d’Oramah alimente autant les couloirs que les plénières. Trois noms circulent, tous porteurs d’une solide expérience sur les marchés de capitaux internationaux. Les actionnaires non régionaux, au premier rang desquels la Chine et l’Union européenne, poussent pour un profil capable de maintenir l’équilibre entre rendement et mandat de développement. Les États membres, eux, exigent que la priorité reste l’ancrage africain des chaînes de valeur.
À moyen terme, la Banque annonce vouloir doubler le poids des financements verts et numérique d’ici 2030. Les analystes de Johannesburg anticipent une croissance annuelle des actifs de l’ordre de 12 %, sous réserve d’une maîtrise de l’inflation importée et d’un accès stable aux marchés obligataires internationaux. Face à la montée du protectionnisme dans le G7, Afreximbank se voit investie d’une mission diplomatique implicite : sécuriser des partenariats triangulaires avec l’Asie et l’Amérique latine pour diversifier les sources de devises.
Dans un mot d’adieu sobre, Benedict Oramah a résumé l’enjeu : « La prochaine décennie sera celle de la densification, non plus seulement des capitaux, mais des convergences réglementaires et technologiques ». En d’autres termes, la fortune critique de la Banque dépendra moins de la seule taille de son bilan que de sa capacité à orchestrer les synergies interafricaines, au service d’une intégration continentale mûrie et politiquement assumée.