Un virage capital pour les infrastructures aériennes
À l’heure où les pressions budgétaires se font plus aiguës, le gouvernement égyptien finalise un dispositif de privatisation portant sur onze aéroports, dont l’incontournable plate-forme d’Hurghada, deuxième du pays par le volume de passagers. La manœuvre, structurée autour de contrats de partenariat public-privé, s’inscrit dans le programme national de monétisation des actifs lancé en juin 2023. L’administration Sisi entend ainsi mobiliser des capitaux privés afin d’accélérer la modernisation des infrastructures tout en préservant la soutenabilité de la dette publique.
L’ingénierie PPP sous supervision de l’IFC
Pour garantir la bancabilité de l’opération, Le Caire a retenu la Société financière internationale comme conseiller principal. L’institution de la Banque mondiale a la charge de calibrer les clauses de partage de risques, de déterminer la durée des concessions et d’identifier les sources de revenus annexes – duty-free, redevances de survol ou encore services de maintenance. Selon Sameh El-Hefny, ministre de l’Aviation civile, la feuille de route complète doit être entérinée d’ici à août 2025, après quoi chaque lot fera l’objet d’appels d’offres compétitifs. Le premier test grandeur nature concernera l’aéroport d’Hurghada, dont la procédure est annoncée pour la fin de l’année.
Rationaliser la dépense publique sans sacrifier la souveraineté
Face à la volatilité des devises et à un service de la dette qui absorbe près du tiers des recettes fiscales, l’exécutif égyptien privilégie une approche qu’il qualifie de « souveraineté partagée ». Les actifs stratégiques restent juridiquement la propriété de l’État, tandis que l’exploitation est confiée pour vingt à trente ans à des opérateurs triés sur le volet. Cette architecture contractuelle préserve la capacité régalienne de fixation des redevances aéronautiques et du contrôle de sûreté, tout en transférant le poids des investissements de capacité – pistes, terminaux, systèmes de tri bagages – vers les concessionnaires.
Effets d’entraînement macroéconomiques
Les autorités tablent sur un double dividende : d’une part, un allégement immédiat des dépenses en capital, évalué à plus de deux milliards de dollars, et, d’autre part, une montée en gamme de l’offre touristique, vital pour une économie dont près de 10 % du PIB provient de ce secteur. À moyen terme, l’externalité positive pourrait prendre la forme d’un accroissement des recettes en devises, jusques-et-y compris un renforcement des flux d’investissements directs étrangers, la modernisation des hubs aéroportuaires étant souvent considérée comme un indicateur avancé de stabilité économique.
Capacité et connectivité : le pari du New Republic Air Gateway
Parallèlement à la cession partielle d’actifs existants, le terminal 4 du Caire, rebaptisé New Republic Air Gateway, devrait porter la capacité de l’aéroport à plus de soixante millions de passagers par an. Cette extension vise à positionner la capitale comme un nœud de correspondance entre l’Afrique, le Golfe et l’Asie méridionale. En arrière-plan, elle confère une cohérence d’ensemble à la doctrine « Egypt 2040 », laquelle table sur la logistique et le transport aérien pour ancrer le pays dans les chaînes de valeur globales.
Renouvellement de la flotte nationale : EgyptAir en première ligne
Pour soutenir l’essor annoncé du trafic, EgyptAir a lancé un plan de renouvellement qui portera sa flotte à quatre-vingt-dix-sept appareils à l’horizon 2029. La signature d’un accord de location de dix-huit Boeing 737-8 avec Air Lease Corporation illustre l’ambition de la compagnie, laquelle a gagné vingt rangs pour se hisser à la soixante-huitième place du classement mondial des transporteurs. Selon un cadre dirigeant, cette progression atteste « d’un retour de confiance des partenaires financiers » et constitue un signal positif pour les investisseurs appelés à se positionner sur les aéroports.
Lectures géopolitiques d’une offensive économique
Outre les impératifs financiers, la démarche égyptienne s’inscrit dans une compétition régionale où les hubs de Dubaï, Doha et Addis-Abeba exercent une forte attraction. En cédant des concessions tout en conservant la haute main sur la régulation, Le Caire vise à conjuguer efficacité managériale privée et projection d’influence étatique. Plusieurs chancelleries observent d’ailleurs que la présence d’actionnaires du Golfe, déjà engagés dans des projets d’infrastructures en Égypte, pourrait renforcer la solidité des partenariats stratégiques sur le long terme.
Une marche sous conditions prudentielles
Reste que le succès du programme dépendra de la clarté du cadre réglementaire, de la stabilité du taux de change et de la capacité de l’État à arbitrer entre impératifs de rentabilité et exigences sociales. Les syndicats du secteur réclament des garanties sur le maintien de l’emploi, tandis que les milieux d’affaires attendent une prévisibilité fiscale. Dans ce contexte, l’IFC, forte de son expérience sur les aéroports de Jordanie et du Sénégal, joue le rôle d’« honest broker » pour équilibrer les attentes.
Perspectives : cap sur 2025 et au-delà
Le bouclage de la feuille de route d’ici août 2025 constituera un jalon décisif. Si le calendrier est respecté et la gouvernance solidement établie, l’Égypte pourrait non seulement combler son déficit d’infrastructures, mais aussi renforcer son statut de porte d’entrée continentale. Pour les observateurs internationaux, l’expérience égyptienne pourrait servir de référence aux États en quête de capitaux tout en souhaitant préserver leur souveraineté économique. En somme, la tour de contrôle du Caire est sur le point de donner son feu vert à un atterrissage en douceur de la privatisation, avec l’espoir que l’envol conjoint du secteur privé et de l’État porte loin les ambitions nationales.