Un signal sans équivoque à la communauté financière internationale
Le communiqué solennel publié par la National Bank of Ethiopia le 25 juin marque une rupture qu’aucun diplomate économique ne saurait minimiser. En ouvrant immédiatement le guichet des licences aux banques étrangères, Addis-Abeba transforme une disposition légale adoptée en décembre 2024 en un fait accompli. Pour le gouvernement du Premier ministre Abiy Ahmed, il s’agit d’amplifier la dynamique réformatrice engagée depuis la libéralisation des télécommunications en 2022. « Nous voulons que le secteur bancaire soit un moteur, non un frein, de notre industrialisation », confiait récemment un conseiller du ministère des Finances, sous couvert d’anonymat.
Réformes guidées par l’urgence macroéconomique et l’ambition régionale
À court terme, l’afflux de capitaux frais vise à soulager une trésorerie publique mise à mal par le coût de la guerre au Tigré et par une inflation qui frôle 30 %. L’accès direct aux marchés financiers africains et asiatiques, via des banques déjà établies à Nairobi ou Dubaï, devrait également soutenir la birr, sous pression chronique. Mais le calcul est plus vaste : Addis-Abeba aspire à devenir un hub logistique et énergétique de la Corne de l’Afrique, capable d’absorber les retards structurels de Djibouti et de rivaliser avec le Kenya. Dans cette perspective, un système bancaire à capitaux ouverts apparaît indispensable pour capter les chaînes de valeur régionales promues par la Zone de libre-échange continentale africaine.
Un cadre réglementaire encore en gestation
Le plafond de 40 % imposé aux participations étrangères dans les banques locales reflète la prudence des autorités, soucieuses de préserver un contrôle domestique sur un secteur jugé stratégique. La Banque commerciale d’Éthiopie, mastodonte public détenant près de la moitié des dépôts du pays, restera pour l’heure hors du champ des privatisations. Par ailleurs, le régulateur exige un capital minimum de 150 millions de dollars pour l’établissement d’une filiale, seuil appelé à dissuader les acteurs opportunistes et à attirer des enseignes disposant d’une solide assise en matière de conformité. Selon un projet de directive circulant au Parlement, les banques devront aussi consacrer 10 % de leur portefeuille de prêts au financement des petites et moyennes entreprises agricoles, afin d’éviter une concentration excessive sur les centres urbains de la haute plaine.
Stabilité financière : l’équation risques-rendements
Les chancelleries occidentales, d’ordinaire favorables à la libéralisation, observent le processus avec une vigilance teintée de scepticisme. La faiblesse de la supervision prudentielle, illustrée par un ratio de prêts non performants proche de 15 %, nourrit la crainte d’un choc systémique si les nouveaux entrants pratiquent une concurrence agressive sur les taux. La Banque mondiale préconise la mise en place d’un fonds de résolution bancaire avant la fin de 2025, un dispositif que les autorités disent étudier (Banque mondiale, 2024). De leur côté, les investisseurs du Golfe insistent sur la nécessité de garanties juridiques claires concernant la rapatriation des bénéfices, sujet sensible dans un pays où les réserves de change couvrent à peine six semaines d’importations.
Diplomatie des capitaux : entre alignements et rivalités
L’ouverture bancaire intervient dans un contexte géopolitique délicat. Les États-Unis saluent une mesure susceptible de renforcer la transparence financière et de réduire la dépendance d’Addis-Abeba à l’égard de Pékin, premier créancier bilatéral du pays. La Chine, pour sa part, voit dans ce nouveau cadre l’occasion d’institutionnaliser la présence de ses grandes banques publiques déjà actives dans les méga-projets ferroviaires. Nairobi, enfin, redoute un détournement de flux financiers qui auraient transité par son propre centre régional, tandis que l’Union européenne envisage une enveloppe de soutien technique à la supervision bancaire, conditionnée à des avancées sur les droits humains.
Vers un nouveau contrat social financier
Au-delà des arbitrages géostratégiques, la question centrale reste celle du partage des dividendes de cette libéralisation avec une population dont 70 % demeure non bancarisée. « Il serait paradoxal que l’ouverture profite uniquement aux classes urbaines, alors que la stabilité politique dépend d’un développement inclusif », avertit le professeur Tesfaye Alemu, économiste à l’université d’Addis. Le gouvernement promet un programme de bancarisation numérique fondé sur la téléphonie mobile, dans le sillage du succès de M-Pesa au Kenya. Si le pari est gagné, l’Éthiopie pourrait transformer un risque de fracture sociale en vecteur d’unité nationale, ultime objectif d’une réforme au croisement de la finance et de la diplomatie intérieure.