Une recomposition régionale accélérée
L’annonce, le 20 juin 2025, de la finalisation du rachat par Access Bank PLC des activités de banque de détail et de gestion de patrimoine de Standard Chartered Bank en Tanzanie constitue bien plus qu’un simple mouvement capitalistique. Elle traduit une recomposition régionale, déjà amorcée par plusieurs établissements africains qui cherchent à étendre leur empreinte bien au-delà de leurs marchés domestiques.
Le retrait de Standard Chartered s’inscrit, lui, dans un plan mondial dévoilé en 2022 visant à rediriger des ressources vers les marchés jugés plus rentables en Asie et au Moyen-Orient. Pour le groupe britannique, la Tanzanie ne pèse que 1 % des actifs du continent africain, un ratio insuffisant pour justifier de lourds coûts de conformité et d’infrastructure numérique. Le terrain était donc mûr pour un acteur disposant de réserves de capital et d’une ambition africaine assumée.
Les motivations d’Access Bank : du Golfe de Guinée à l’océan Indien
Depuis Lagos, le directeur général d’Access Bank, Roosevelt Ogbonna, martèle que son établissement doit devenir « la passerelle financière de l’Afrique » (communiqué du 20 juin). En moins de cinq ans, la banque a déjà réalisé des opérations en Afrique du Sud, au Kenya et au Mozambique. La Tanzanie complète cet arc oriental qui relie, sur la carte, le Golfe de Guinée à l’océan Indien. L’inclusion du portefeuille de la clientèle de détail de Standard Chartered – estimée à plus de 500 000 comptes – permet à Access Bank de dépasser symboliquement le cap des 60 millions de clients à l’échelle du continent.
La présence tanzanienne offre également une porte d’entrée stratégique vers la Communauté d’Afrique de l’Est (CAE), bloc de près de 300 millions d’habitants dont l’intégration économique progresse. Les corridors commerciaux reliant le port de Dar es Salaam au Burundi, au Rwanda et à l’Est de la RDC s’annoncent comme autant de relais de croissance pour les services bancaires transactionnels et le financement du commerce, deux lignes de métier qu’Access Bank entend densifier.
Standard Chartered : un recentrage forcé ou éclairé ?
Côté britannique, la sortie de Tanzanie peut être interprétée de deux manières. D’un point de vue strictement financier, la banque affiche depuis 2020 une rentabilité moindre sur ses portefeuilles africains, pénalisée par des devises volatiles et des taux d’intérêt parfois administrés. Les exigences de Bâle III et les pressions des régulateurs européens sur les risques pays ont fini par convaincre le conseil d’administration de comprimer la voilure.
Mais ce désengagement ne signifie pas pour autant une rupture totale avec l’Afrique. Standard Chartered conserve ses opérations de banque d’investissement et de financement du commerce à Dar es Salaam. « Nous redéployons des capitaux vers des segments à plus forte valeur ajoutée », explique Sunil Kaushal, directeur régional Afrique–Moyen-Orient, qui fait valoir la compétitivité du modèle « capital-light » centré sur la banque d’affaires.
Impacts attendus pour l’écosystème financier tanzanien
Pour la Banque de Tanzanie, qui a donné son feu vert à l’opération en avril, l’arrivée d’un acteur nigérian de premier plan offre une perspective de concurrence accrue. Access Bank prévoit d’injecter 140 millions de dollars dans la modernisation des infrastructures numériques héritées de Standard Chartered et dans l’ouverture de quinze agences supplémentaires dans les régions périphériques. À terme, l’institution promet une baisse des coûts de services et une extension du crédit aux PME, segment encore sous-bancarisé dans le pays.
Les syndicats bancaires tanzaniens ont néanmoins exprimé des réserves quant à la garantie de l’emploi. Access Bank affirme qu’« aucun licenciement sec n’est programmé » et que les effectifs bénéficieront de programmes de montée en compétences. Le régulateur, pour sa part, a exigé un plan social détaillé, exigeant que les formations soient dispensées localement afin de consolider le capital humain national.
Quelles implications diplomatiques et géopolitiques régionales ?
Au-delà des chiffres, l’opération revêt une dimension diplomatique. Le Nigeria, dont la diplomatie économique mise ouvertement sur ses champions nationaux, obtient avec Access Bank un levier supplémentaire dans un espace est-africain où l’influence kényane et rwandaise s’affirme. De son côté, le Royaume-Uni maintient un ancrage par l’entremise de la City et renforce, dans une posture post-Brexit, son image de hub de services financiers à très haute valeur ajoutée.
Les chancelleries de la région observent également l’émergence d’un triangle financier Abuja-Nairobi-Dar es Salaam susceptible de peser sur les négociations autour de la ZLECAf. Si Access Bank réussit son intégration et exporte ses standards de gouvernance, elle pourrait contribuer à harmoniser les pratiques prudentielles régionales, objectif encore lointain mais structurant pour les bailleurs internationaux. Le succès – ou l’échec – de cette opération fera donc l’objet d’un suivi attentif, tant à la Banque africaine de développement qu’au Fonds monétaire international.