Le retrait américain et la recomposition de l’aide internationale
La décision, annoncée depuis Washington puis confirmée devant le Congrès, de clore plusieurs programmes de l’Agence des États-Unis pour le développement international redessine brutalement le paysage de la coopération en Afrique australe. En Zambie, où les financements cumulés dépassaient 450 millions de dollars annuels, l’arrêt graduel signifie la disparition de missions techniques, de mécanismes de micro-crédit et d’initiatives de santé communautaire qui structuraient jusqu’ici nombre d’activités rurales. Les chancelleries présentes à Lusaka observent qu’en moins de deux trimestres, la chaîne logistique de l’économie vivrière s’est fragilisée, exposant les populations dépendantes des petits lacs intérieurs à des arbitrages économiques douloureux.
Femmes pêcheuses : première ligne d’une crise silencieuse
Dans les districts riverains du lac Kariba, la raréfaction des filets, auparavant subventionnés par des programmes de pêche durable, force plusieurs collectifs féminins à négocier l’accès aux pirogues détenues par des opérateurs masculins. Faute de capitaux pour louer du matériel, certaines femmes se voient contraintes de monnayer en nature leur droit à l’embarcation. « Nous voulions seulement sortir à l’aube pour nourrir nos enfants », confie Chipo, mère de quatre enfants, rencontrée lors d’une consultation d’ONG à Siavonga. L’ancienne directrice d’ActionAid Zambie, Faides TembaTemba, alerte sur un « cycle de dépendance incompatible avec les objectifs de développement durable », rappelant que la Zambie affiche pourtant un taux de croissance moyen supérieur à 3 % selon la Banque d’Afrique australe de développement.
Effets multiplicateurs sur la santé publique et la stabilité locale
La marchandisation contrainte du corps féminin n’est pas qu’une tragédie individuelle ; elle engendre une recrudescence d’infections sexuellement transmissibles, accroît la charge financière des dispensaires provinciaux et fragilise la cohésion communautaire. Les églises locales, traditionnellement médiatrices, déplorent un afflux de demandes d’assistance auxquelles elles ne peuvent répondre. Les autorités zambiennes cherchent, avec l’appui de la Communauté de développement d’Afrique australe, à mobiliser un fonds d’urgence régional qui absorberait le choc sanitaire et sécuritaire, signe que la gouvernance locale demeure attentive malgré l’assèchement des caisses.
De la dépendance à la résilience : initiatives endogènes émergentes
Face à l’érosion des soutiens extérieurs, plusieurs coopératives villageoises réorganisent la filière poisson autour de contributions solidaires. À Namwala, un modèle de fonds rotatif, adossé aux recettes tirées de la vente collective, permet désormais de financer l’achat mutualisé de moteurs hors-bord. Pour les diplomates accrédités à Lusaka, ces embryons de souveraineté financière constituent autant de signaux positifs qui appellent un accompagnement technique plutôt qu’une substitution pure et simple de la manne américaine. La Commission de l’Union africaine, sollicitée pour un appui, plaide pour l’alignement de ces efforts sur l’Agenda 2063 afin d’assurer leur pérennité.
Lecture régionale et positionnement des partenaires stratégiques
Au-delà de la Zambie, le retrait de l’USAID résonne comme un test grandeur nature pour les États qui, à l’instar du Congo-Brazzaville, ont choisi de diversifier leurs partenariats financiers et d’investir dans la valorisation locale des ressources halieutiques. Brazzaville, sans commenter directement la décision américaine, rappelle l’importance de la solidarité africaine et de la responsabilité partagée, position saluée lors de la dernière session du Forum Chine-Afrique. Dans les capitales d’Europe, on s’interroge sur l’émergence possible d’un vacuum géopolitique tandis que des acteurs privés, notamment asiatiques, redoublent d’offres de concession et de prêts à taux préférentiels.
Vers un nouveau pacte de coopération équilibrée
Les diplomates réunis à Séville pour la Conférence des Nations unies sur le financement du développement convergent vers un constat : l’aide conditionnelle, fût-elle généreuse, n’est durable que si elle consolide les capacités nationales à générer leurs propres marges budgétaires. À cette aune, la Zambie apparaît comme un laboratoire dont les enseignements inspireront un futur cahier des charges pour tout bailleur souhaitant projeter sa puissance douce sans engendrer de vulnérabilités socio-genrées. La proposition, portée par plusieurs délégations africaines, d’un mécanisme de sortie graduée couplé à des transferts de savoir-faire, trouve un écho favorable au sein du G77.
Responsabilité partagée et prospective diplomatique
Si la conjoncture actuelle met en lumière les défaillances d’un système de coopération fondé sur l’assistanat, elle offre aussi l’opportunité de refonder les bases d’un partenariat plus égalitaire. Pour reprendre l’expression d’un haut fonctionnaire de la SADC, « le véritable test sera notre capacité collective à transformer une crise budgétaire en catalyseur de souveraineté économique ». De Lusaka à Brazzaville, la priorité donnée à l’autonomisation des communautés, particulièrement des femmes, pourrait ainsi constituer le socle d’une diplomatie de la résilience, capable de transcender les cycles volatils de l’aide internationale.