Patrimoine immatériel et cohésion nationale
À l’ombre des manguiers qui ponctuent les artères côtières de Pointe-Noire, l’esplanade culturelle Yaro s’apprête à accueillir « Le soir au Bongui », une veillée artistique imaginée par la compagnie Nzonzi. Derrière la simplicité apparente d’un conteur et d’un maître-tamalé, se dessine un enjeu de première importance : la sauvegarde d’un patrimoine immatériel dont la valeur symbolique irrigue la cohésion nationale. Dans un pays où près d’une soixantaine de langues coexistent, les arts de la parole constituent, selon la Commission nationale pour l’UNESCO, « un espace de traduction mutuelle et de reconnaissance réciproque », vecteur de paix sociale et de transmission intergénérationnelle.
Alors que le Congo-Brazzaville a ratifié en 2012 la Convention de 2003 pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, l’initiative de Nzonzi s’inscrit dans le prolongement d’un cadre légal qui encourage la valorisation des savoir-faire oraux. En associant contes, chant et percussion, la troupe rappelle que le récit n’est pas seulement divertissement : il est mémoire collective, codex moral, outil discret de régulation communautaire.
Les coulisses diplomatiques du soft power congolais
À l’heure où la diplomatie contemporaine ne se résume plus aux seuls canaux politiques, la culture demeure un levier d’influence mesurable. Le ministère des Affaires étrangères souligne régulièrement la « complémentarité stratégique » entre action culturelle et relations bilatérales, un propos qu’illustre la présence annoncée de plusieurs attachés culturels étrangers lors du spectacle du 2 août. Pour le professeur Henri Boukadia, spécialiste de géopolitique francophone, « l’exportation des arts oratoires congolais représente un vecteur de rayonnement comparable, toutes proportions gardées, à la musique populaire kinéenne des années 1970 ».
La diplomatie publique s’appuie ainsi sur la tradition du bongui, ce foyer circulaire où l’on se rassemble pour écouter et discuter, comme sur une métaphore d’ouverture. En donnant au public international un aperçu de ce rituel, la compagnie crée un pont entre mondes spirituels et protocoles contemporains, réaffirmant la capacité d’un récit local à produire un imaginaire universel.
L’économie créative, un levier d’inclusion durable
Derrière la dimension symbolique, l’événement revêt une importance économique concrète. Le segment des industries culturelles et créatives (ICC) représente déjà 3 % du PIB national, d’après les chiffres fournis par l’Institut congolais de la statistique. Or, la littérature orale et les performances de percussion restent encore sous-valorisées dans cette matrice. La collecte de soutien prévue lors de la soirée répond donc à un double objectif : renforcer les ressources propres d’artistes souvent précaires et sensibiliser les décideurs à l’urgence d’un financement pérenne.
Gervais Nzonzi, directeur artistique, confie que « chaque franc investi dans la parole est un investissement dans l’estime de soi collective ». Une formule qui résonne à l’heure où les institutions financières internationales recommandent la diversification économique. Les arts oratoires, par leur faible intensité capitalistique, offrent en effet un modèle de micro-entrepreneuriat compatible avec les réalités locales, notamment pour les jeunes diplômés en quête d’emploi.
Dynamiques de participation citoyenne
La mobilisation du public constitue un indicateur pertinent de la vitalité démocratique. En invitant la population à contribuer financièrement, la compagnie amorce un dialogue horizontal entre créateurs et spectateurs. Cette démarche rejoint les recommandations de la Charte africaine de la renaissance culturelle, qui encourage « l’appropriation du destin artistique par les communautés ».
Dans la ville-port, où cohabitent ouvriers pétroliers, commerçants et fonctionnaires, la participation à un spectacle oral réactive le sens du commun. Elle permet également de contrebalancer la prééminence des écrans et de l’information instantanée en réhabilitant l’écoute longue, fondement de toute délibération civique.
Perspectives et ancrage régional
Au-delà de l’événement ponctuel, les autorités locales envisagent déjà de décliner « Le soir au Bongui » sous forme de tournée dans les départements de la Bouenza et du Niari. Une articulation avec les centres culturels municipaux est à l’étude, afin de pérenniser l’initiative et de l’inscrire pleinement dans la politique de décentralisation culturelle promue par Brazzaville. Dans la sous-région, la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC) s’est montrée attentive aux retombées possibles sur le tourisme intra-africain.
Ainsi, par une veillée de contes, Pointe-Noire rappelle que la puissance d’un État ne se mesure pas seulement à ses pipelines ou à ses bilans macroéconomiques, mais aussi à la force évocatrice de ses histoires partagées. Le succès escompté de cette manifestation pourrait bien conforter le Congo-Brazzaville dans sa stratégie de diplomatie d’influence centrée sur la création, invitant décideurs et partenaires à regarder l’avenir sous la houlette d’une parole qui, loin de se tarir, sait sans cesse se réinventer.