Une diplomatie du campus au cœur du Sahel
À première vue, la coupure de ruban qui a scellé l’ouverture d’un nouvel ensemble de salles de cours et d’un laboratoire flambant neuf sur le campus Abdou Moumouni pourrait passer pour un événement purement académique. Il n’en est rien. Dans un Sahel balloté par les incertitudes sécuritaires, le Niger fait de l’université un vecteur de stabilité intérieure et un outil de projection internationale. Devant les caméras, le ministre de l’Enseignement supérieur a détaillé une enveloppe avoisinant 750 millions de FCFA pour le bloc d’enseignement et plus de 120 millions pour le centre multimédia, rappelant que « l’éducation reste notre première ligne de défense ». Ce choix lexical n’est pas anodin : il inscrit la politique éducative dans une logique de sécurité humaine, concept largement repris par les chancelleries occidentales depuis deux décennies.
La jeunesse comme variable géopolitique
Avec près de 70 % d’habitants âgés de moins de 25 ans, le Niger possède l’une des pyramides des âges les plus élancées du monde. Cette dynamique démographique constitue à la fois un dividende potentiel et un gouffre social si l’État ne parvient pas à offrir des perspectives. Le Premier ministre Ali Mahamane Lamine Zeine, en lançant les travaux de février dernier, avait insisté sur la « nécessité d’éviter une génération en colère ». Les chancelleries partenaires ont, elles aussi, intégré cette équation : une jeunesse formée est perçue comme moins perméable aux discours extrémistes, tandis qu’elle alimente un marché du travail régional en expansion, notamment dans les secteurs minier, énergétique et numérique.
Nouveaux murs, ambitions scientifiques renouvelées
Le laboratoire d’études en environnement minier implanté au sein de l’École des Mines, de l’Industrie et de la Géologie (EMIG) illustre cette volonté de coller aux réalités économiques nationales. Riche en uranium, or et pétrole, le Niger souhaite passer du statut de simple pourvoyeur de matières premières à celui de centre d’expertise scientifique. Le recteur Moussa Barrage voit dans ces locaux un « levier pour orienter la recherche vers les priorités nationales ». Pour mémoire, le continent africain ne contribue qu’à 3,5 % des publications scientifiques mondiales (AFD 2022). Avoir sur place des installations capables de caractériser les sols, mesurer les pollutions et tester des procédés d’extraction plus propres offre donc un antidote aux critiques sur l’« économie d’enclave » encore attachée au secteur minier.
Bailleurs, rivalités feutrées et quête de visibilité
Depuis 2014, la Banque mondiale finance un réseau de Centres d’excellence africains, mobilisant 657 millions de dollars et formant plus de 90 000 étudiants, dont 7 650 doctorants (Banque mondiale 2023). Le nouveau laboratoire de Niamey espère rejoindre cette constellation convoitée où l’expertise technologique sert aussi de vitrine pour les bailleurs. Paris, via l’Agence française de développement, et Washington, par l’entremise de l’USAID, entendent rester visibles face à la montée en puissance d’acteurs comme la Chine ou la Turquie, très présents dans les filières BTP et bourses d’études. La diplomatie du savoir devient donc un théâtre de concurrence feutrée, chaque donateur cherchant à associer son drapeau aux progrès académiques locaux.
Gouvernance, emploi et retour sur investissement
Reste la question du rendement éducatif d’un tel effort financier. Les diplomates en poste à Niamey ne cessent de rappeler que la crédibilité d’une université ne se mesure pas seulement en mètres carrés mais aussi en taux d’insertion de ses diplômés. Selon le Conseil national de la statistique, près d’un diplômé sur trois demeure en sous-emploi un an après la sortie, principalement faute de passerelles avec le secteur privé. Les autorités entendent y répondre par des partenariats public-privé orientés vers les compagnies minières et les agences de transition énergétique, afin de transformer les stages de fin d’études en contrats durables. À moyen terme, la visibilité internationale du Niger dépendra autant de la solidité institutionnelle de ses campus que de l’aptitude du marché à absorber cette jeunesse qualifiée.
Un pari de long terme sous haute pression sécuritaire
À elles seules, de nouvelles façades ne sauraient contenir les défis multiformes auxquels le Niger est confronté : instabilité frontalière, volatilité des cours des matières premières et impacts climatiques plus intenses qu’ailleurs. Toutefois, le symbole reste puissant. En érigeant un bâtiment à trois niveaux équipé d’un auditorium, de bureaux climatisés et de chambres pour chercheurs visiteurs, Niamey envoie le message que l’excellence n’est pas l’apanage des capitales du Nord. Pour reprendre la formule d’un diplomate ouest-africain présent lors de l’inauguration, « investir dans le cerveau coûte toujours moins cher que financer une nouvelle garnison ». La modernisation du campus Abdou Moumouni apparaît ainsi comme une pièce de la stratégie nationale de résilience : former, retenir et valoriser la matière grise locale avant qu’elle ne prenne le chemin de l’exil ou de la désillusion.