Un fait divers révélateur des tensions urbaines
Le 14 avril dernier, un jeune homme d’une vingtaine d’années a succombé à ses blessures après avoir été frappé par une foule en colère dans le quartier Ngampoko, arrondissement 8 Madibou, en périphérie sud de Brazzaville. L’affaire a débuté lorsqu’une maraîchère, excédée par la multiplication des vols dans son jardin, a reconnu son présumé voleur au marché de Makélékélé, un sac de feuilles de manioc sous le bras. Alertés, voisins et badauds ont voulu donner un « exemple ». En quelques minutes, les ressortissants de la communauté, souvent habitués à régler les litiges mineurs sans recourir aux forces de l’ordre, ont basculé dans une violence qui a ôté la vie à l’accusé.
Madibou entre essor démographique et précarité économique
Madibou illustre les défis des ceintures urbaines africaines : croissance démographique soutenue, pression foncière et manque d’emplois formels. Les maraîchers, pour la plupart originaires des plateaux téké ou du Pool, exploitent les plaines inondables de la rivière Djoué depuis les années 1980. Leurs micro-exploitations approvisionnent chaque jour la capitale en légumes frais, contribuant à la sécurité alimentaire de près de deux millions d’habitants.
La pandémie de Covid-19, puis la flambée mondiale des prix des intrants agricoles ont fragilisé ces circuits courts. Ces derniers mois, les producteurs signalent une recrudescence de déprédations nocturnes, motivées autant par la nécessité de se nourrir que par la spéculation sur les prix des denrées vertes. Les structures communautaires de veille existent, mais leurs moyens matériels demeurent limités. Le drame récent exprime ainsi une tension latente entre, d’une part, la survie quotidienne des plus pauvres et, d’autre part, la protection d’un outil de travail vital pour les familles maraîchères.
Normes coutumières et justice formelle, cohabitation complexe
À Brazzaville, le pluralisme juridique fait coexister les tribunaux d’instance avec les conciliations coutumières validées par les chefs de quartier. Si ce dispositif favorise la résolution rapide de petits litiges, il ouvre aussi la porte à des débordements lorsque l’émotion collective supplante la procédure. Selon une étude du Centre d’études et de recherche sur les dynamiques sociales en Afrique centrale, un tiers des habitants de la capitale déclare « faire d’abord confiance au voisinage » pour régler un différend mineur (CERDAC, 2022).
Or, la norme étatique proscrit toute prise de justice privée. La loi du 20 janvier 2019 sur la prévention de la délinquance précise que toute personne arrêtée en flagrant délit doit être remise à la police. Dans l’affaire de Madibou, ce passage n’a pas été respecté, non par défiance ouverte envers l’État, mais par un enchaînement d’affects collectifs et de croyances a priori légitimées par la répétition des vols. La frontière entre autodéfense communautaire et justice expéditive reste ainsi poreuse.
La réponse des autorités congolaises et les partenariats internationaux
Le ministère de la Sécurité et de l’Ordre public a immédiatement diligenté une enquête, tout en réaffirmant que « nul n’a le droit de se substituer aux institutions républicaines ». Dans la foulée, des patrouilles mixtes police-gendarmerie ont été renforcées aux abords des jardins maraîchers, tandis que la préfecture de Brazzaville a engagé un dialogue de proximité avec les associations de producteurs.
Sur le plan structurel, le gouvernement poursuit la mise en œuvre du Plan national de développement 2022-2026, dont l’axe 2 prévoit la sécurisation des chaînes alimentaires urbaines. Avec l’appui technique de la FAO, un fonds de micro-assurance horticole est à l’étude afin d’indemniser les cultivateurs victimes de vols ou de catastrophes climatiques. Par ailleurs, le Programme des Nations unies pour le développement soutient depuis 2021 un volet « médiation communautaire » destiné à former des relais locaux capables de désamorcer les conflits avant qu’ils ne dégénèrent.
Prévenir l’embrasement : pistes de gouvernance inclusive
Le drame de Ngampoko rappelle que la prévention de la violence urbaine ne se limite pas au déploiement de forces de l’ordre. Elle passe par des politiques publiques articulant sécurité, inclusion économique et reconnaissance des mécanismes coutumiers. Plusieurs experts plaident pour l’installation de comités de dialogue permanents associant élus, chefs traditionnels, représentants de la jeunesse et police de proximité, à l’image des expériences pilotes menées à Pointe-Noire.
À plus long terme, la promotion de chaînes de valeur maraîchères modernes, l’accès facilité au crédit et la régulation foncière pourraient atténuer la tentation du vol. Dans le même temps, la sensibilisation aux droits humains, inscrite dans la Stratégie nationale de bonne gouvernance, vise à ancrer le réflexe du recours aux institutions judiciaires plutôt qu’à la vindicte. L’affaire, tragique, pourrait ainsi devenir l’occasion d’un sursaut collectif : consolider l’État de droit tout en préservant la cohésion de ces quartiers périphériques qui nourrissent Brazzaville.