Un entretien de deux heures sous le signe de la désescalade
La rencontre de près de deux heures au Palais de la Nation entre le président congolais Félix Tshisekedi et l’ancien chef d’État nigérian Olusegun Obasanjo, désormais émissaire conjoint de l’EAC et de la SADC, témoigne de l’intensification des efforts diplomatiques visant à juguler l’instabilité chronique qui ronge l’Est de la République démocratique du Congo. «Nous explorons toutes les possibilités pour qu’il n’y ait plus de confrontation militaire», a rappelé M. Obasanjo devant la presse, soulignant son ambition de rapprocher Kinshasa et Kigali sans précipiter les parties vers un accord irréaliste.
Le spectre d’un face-à-face Kinshasa-Kigali toujours menaçant
Depuis la résurgence du Mouvement du 23 mars en 2021, la diplomatie régionale peine à contenir les accusations congolaises de soutien rwandais à cette rébellion, dénonciations que Kigali réfute systématiquement. Les communiqués successifs de l’Union africaine, du Département d’État américain et de Doha convergent pourtant sur un même impératif : restaurer la confiance entre voisins pour désamorcer un engrenage militaire qui mettrait en péril tout le théâtre des Grands Lacs.
Les échanges initiés par Obasanjo s’inscrivent ainsi dans une fenêtre d’opportunité restreinte. À moins d’un an d’élections législatives au Rwanda et à la veille de la consolidation du second mandat de Tshisekedi, la posture bilatérale reste fragile. Le chef de l’État congolais joue la carte d’une «désescalade progressive» selon son entourage, conscient qu’un embrasement frontal ruinerait ses priorités de reconstruction économique.
Initiatives confessionnelles : la pression morale des Églises
Parallèlement à la médiation institutionnelle, le Pacte social pour la paix, porté par la Conférence épiscopale et l’Église du Christ au Congo, a remis à Félix Tshisekedi les fruits de trois mois de consultations. Le document plaide pour un dialogue inclusif entre communautés locales, milices et autorités régionales. Initialement réservé, le président congolais a finalement salué «un socle éthique» susceptible de légitimer tout accord politique. Cette dynamique ecclésiale s’ajoute aux efforts d’Obasanjo, créant un faisceau de pressions morales et diplomatiques dont Kigali ne peut ignorer la portée symbolique.
Nord-Kivu : une réalité sécuritaire qui contredit la diplomatie
Malgré les discours conciliants, les faits militaires rappellent l’urgence. La coalition RDF-M23 occupe toujours des localités stratégiques au nord de Goma, verrouillant des corridors économiques vitaux. D’après la Première ministre Judith Suminwa Tuluka, plus de 7 000 personnes ont péri depuis janvier, dont près de la moitié dans le seul chef-lieu du Nord-Kivu. Ces chiffres, livrés à Genève devant l’Association des correspondants de l’ONU, traduisent un glissement progressif vers le seuil d’alerte humanitaire maximal défini par OCHA.
Kinshasa redoute qu’un retrait précipité de la MONUSCO, programmé pour 2024, ne crée un vide sécuritaire que des acteurs régionaux ambitionneraient de combler. D’où la prudence avec laquelle le cabinet présidentiel orchestre les rencontres, préférant des actions calibrées à des annonces spectaculaires.
La difficile cohérence des formats de médiation
Le ballet des facilitateurs – EAC, SADC, UA, États-Unis, Qatar – illustre une diplomatie des cercles concentriques où le risque de duplication des initiatives n’est jamais loin. Observateurs et chancelleries s’interrogent sur la capacité d’Olusegun Obasanjo à fédérer ces formats sans diluer la responsabilité politique des parties prenantes. L’ancien président nigérian, lui-même familier des négociations à tiroirs, parie sur une articulation en trois temps : cessez-le-feu contrôlé, relance du processus de Nairobi, puis dialogue sécuritaire bilatéral sous l’œil de la SADC.
Cette approche s’inspire du modèle d’Addis-Abeba de 2015 qui permit d’isoler les spoilers en Éthiopie. Reste que le terrain congolais, fracturé en une mosaïque de près d’une centaine de groupes armés, complique toute logique de garanties vérifiables. Les services de renseignement régionaux plaident pour un mécanisme conjoint d’observation, proposition que la RDC juge pertinente mais subordonnée à un retrait attesté des troupes étrangères.
Quel horizon pour la paix dans les Grands Lacs ?
À Kinshasa, certains diplomates estiment qu’un accord tacite pourrait émerger autour d’une démilitarisation des zones minières et d’un partage plus transparent des recettes transfrontalières. Un conseiller de la Présidence confie que «l’économie de guerre nourrit la belligérance; la paix sera commerciale ou ne sera pas».
Le succès de la mission Obasanjo dépendra dès lors de sa faculté à conjuguer désamorçage militaire, gouvernance économique et réhabilitation de la confiance. Les observateurs notent que l’ancien président nigérian, médiateur patenté au Soudan et en Angola, bénéficie encore d’un capital politique précieux auprès des chancelleries anglophones, atout non négligeable pour modérer la méfiance traditionnelle de Kigali vis-à-vis des forums francophones.
Un pari diplomatique aux répercussions régionales
Une accalmie durable en RDC ferait évoluer la configuration sécuritaire de toute la Corne australe. Les flux de réfugiés vers l’Ouganda et le Burundi, déjà supérieurs à 700 000 personnes selon le HCR, pourraient se tarir, allégeant la pression budgétaire sur ces États. Eléments décisifs pour la Zone de libre-échange continentale africaine, les corridors Mombasa-Goma et Beira-Bukavu gagneraient en fluidité, renforçant l’intégration économique régionale.
En cas d’échec cependant, le risque est celui d’une régionalisation du conflit, chaque capitale se sentant tenue de sécuriser ses intérêts. Pour l’heure, Félix Tshisekedi choisit de multiplier les passerelles, conscient qu’aucun acteur n’a intérêt à la pérennisation d’une guerre devenue, selon la Banque mondiale, l’un des plus coûteuses du continent en termes de points de PIB perdus.
Entre prudence et détermination, Kinshasa joue la montre
En recevant Olusegun Obasanjo, Kinshasa a signalé sa disponibilité à explorer une sortie de crise fondée sur le dialogue, sans renoncer à la pression militaire exercée par les Forces armées congolaises. Le chef d’État-major, le général Tshiwewe, martèle que «la diplomatie n’exclut pas la vigilance opérationnelle». Ce double discours, jugé cohérent par plusieurs partenaires occidentaux, vise à maintenir la crédibilité de l’État congolais tout en ouvrant la porte à une normalisation avec Kigali.
Le chemin vers la paix reste semé d’incertitudes, mais l’engagement d’une figure panafricaine de la trempe d’Olusegun Obasanjo offre un cadre renouvelé. Aux protagonistes désormais de traduire la grammaire diplomatique en réalités sécuritaires et humanitaires tangibles dans la vallée du Rift.