Une présence marocaine au cœur du G20 élargi
Dans l’amphithéâtre feutré du convention centre de Johannesburg, les salutations protocolaires ont cédé la place à une tonalité plus incisive lorsque Zineb El Adaoui, Première présidente de la Cour des comptes du Royaume du Maroc, a pris la parole devant ses homologues des grandes puissances économiques. Pour la troisième année consécutive, l’institution marocaine s’est invitée à la table du SAI20, plateforme regroupant les contrôleurs d’État des pays du G20 et, par extension, les garde-fous de la dépense publique mondiale.
Cette constance traduit une ambition : inscrire le Maroc parmi les acteurs qui façonnent les normes internationales de gouvernance financière. Dans une configuration où l’Afrique du Sud assure la présidence du G20 (décembre 2024-novembre 2025), la ville de Johannesburg offrait un signal politique fort : le Sud global entend ne plus rester spectateur des arbitrages budgétaires planétaires.
Financement des infrastructures : le plaidoyer pour une réforme structurelle
Le premier axe de débat a porté sur l’épineuse question du financement des infrastructures dans un contexte marqué par la soutenabilité de la dette et l’urgence climatique. « Nous plaidons pour une réforme structurelle du financement du développement international, fondée sur la justice, l’inclusion et une représentation accrue du Sud », a martelé Mme El Adaoui devant ses pairs.
Sous les lambris diplomatiques, le message est limpide : les modèles actuels de financement, dominés par les agences multilatérales et les marchés de capitaux, peinent à intégrer les coûts réels des aléas climatiques ou les fragilités institutionnelles des pays à revenu intermédiaire. Rabat rejoint ainsi la rhétorique du Trésor sud-africain et des chancelleries d’Asie du Sud, qui appellent à une « architecture financière globale repensée » pour éviter un engrenage d’endettement sans création de valeur durable.
Les discussions ont également révélé les fragilités de la gouvernance des projets, souvent plombés par une faible coordination inter-ministérielle et un déficit de compétences techniques dans les pays les plus vulnérables. À cet égard, l’expérience marocaine de contractualisation des grands chantiers – ligne TGV Tanger-Casablanca, ports Tanger Med et Nador West, ou encore complexes solaires de Ouarzazate – a été citée comme modèle combinant audit ex-ante et contrôle concomitant.
Compétences d’avenir : le défi silencieux des transitions
Le second thème phare, l’« upskilling » des ressources humaines, a suscité un consensus rare. Dans un monde où l’intelligence artificielle bouleverse déjà les chaînes de valeur administratives, les SAIs redoutent une obsolescence accélérée de leurs propres méthodologies. Le président de la Cour des comptes d’Inde a ainsi prévenu : « Sans compétences data-centric, nos audits courront derrière les algorithmes au lieu de les contrôler. »
Le Maroc, qui a inscrit l’économie numérique et la requalification des métiers dans le Pacte national pour l’investissement, a défendu une approche pragmatique : associer universités, acteurs privés et organismes de contrôle dans des laboratoires d’expérimentation. Le plan stratégique 2022-2026 de la Cour des comptes, intégré aux orientations royales, prévoit la création d’une cellule d’intelligence artificielle appliquée à l’audit des grands programmes sociaux. Objectif : croiser plus rapidement données fiscales, état d’avancement des chantiers et indicateurs de performance.
Diplomatie de l’audit : un maillage Sud-Sud en plein essor
Au-delà de la tribune officielle, la diplomatie de couloir a été dense. Les entretiens bilatéraux de Mme El Adaoui avec ses homologues d’Arabie saoudite, du Brésil, d’Inde, de Russie, d’Égypte et de Türkiye ont balisé un réseau de coopération tourné vers la mutualisation des bases de données et la formation croisée des auditeurs.
Cette dynamique traduit l’évolution du soft power marocain, désormais fondé sur le partage de savoir-faire institutionnel plutôt que sur la seule projection économique. Dans un contexte d’élargissement des BRICS et de montée en puissance des coalitions non occidentales, le renforcement de la confiance entre institutions supérieures de contrôle constitue un levier discret mais stratégique. En alignant ses initiatives sur celles de l’INTOSAI, Rabat s’offre une visibilité supérieure à celle que son seul poids économique autoriserait.
Impact national et répercussions internationales
Sur le plan intérieur, la Cour des comptes entend capitaliser sur l’effet vitrine du SAI20 pour légitimer davantage ses recommandations auprès des décideurs marocains. L’institution rappelle que ses rapports ont déjà contribué à la rationalisation des dépenses de la Stratégie Génération Green dans le secteur agricole et au recentrage des subventions énergétiques vers la transition verte.
À l’international, l’alignement entre SAI20, G20 et les priorités de l’Agenda 2030 ouvre la voie à une plus grande intégration des SAIs dans la mécanique de suivi des engagements climatiques. Plusieurs délégations ont d’ailleurs proposé la création d’un tableau de bord partagé mesurant l’efficacité des dépenses vertes, initiative que la Cour marocaine soutient activement.
Vers un nouveau contrat de confiance budgétaire
La clôture du Sommet a consacré un communiqué rappelant la centralité des SAIs dans la stabilité macroéconomique mondiale. « Nous ne sommes pas les censeurs du passé mais les architectes de la confiance budgétaire », a résumé le contrôleur général sud-africain.
En réaffirmant la nécessité d’une gouvernance plus inclusive, le Maroc se positionne dans un jeu d’équilibres délicats : consolider sa crédibilité auprès des bailleurs traditionnels tout en plaidant pour une voix africaine plus audible. Si la crise multidimensionnelle – sanitaire, climatique, géopolitique – nous apprend une chose, c’est que la solidité des institutions de contrôle devient un actif stratégique. Rabat l’a bien compris ; à Johannesburg, la Cour des comptes a rappelé qu’auditer, c’est aussi diplomatie.