Goma, épicentre d’une détresse prolongée
En survolant la plaine cendreuse qui ceinture Goma, le regard plonge inévitablement sur un chapelet de bâches bleues ondulant sous la pluie équatoriale : les nouveaux abris de fortune des familles chassées par la reprise des combats entre le mouvement M23 et les Forces armées de la République démocratique du Congo. Selon les chiffres consolidés par les agences humanitaires, plus de cinq millions de personnes vivaient déjà dans des sites de déplacement avant la poussée rebelle de janvier ; la récente avancée vers la capitale provinciale du Nord-Kivu a encore grossi ce flot humain. Tom Fletcher, coordinateur des secours d’urgence des Nations Unies, résume la situation d’une formule lapidaire : « Ces communautés portent les stigmates de décennies de violence, et les derniers mois ont été d’une brutalité inouïe. »
Litanie de violences sexuelles et traumatismes invisibles
Dans les coursives humides du centre de santé de Bushagara, des femmes attendent, épaules voûtées. Leurs récits, confie Tom Fletcher, sont « trop atroces pour être retranscrits ». Les viols collectifs, ainsi que la mutilation et l’humiliation publique, sont employés comme armes de guerre, perpétuant un cycle de peur et de silence. Les psychologues dépêchés sur place constatent un pic de stress post-traumatique chez les victimes, tandis que la prise en charge médicale reste parcellaire faute de ressources. Malgré la mobilisation d’organisations locales, la chaîne d’appui—de la chirurgie reconstructrice au suivi psychologique—se trouve grippée par la diminution rapide des financements.
L’effritement des financements internationaux
Contraste saisissant : au lendemain de l’annonce d’une hausse des dépenses militaires de l’OTAN, les budgets consacrés aux opérations humanitaires connaissent leur plus bas niveau depuis une décennie. Historiquement, les programmes de l’ONU en RDC pouvaient compter sur une couverture financière à 70 % assurée par les États-Unis. « Cette générosité se tarit aujourd’hui », regrette Tom Fletcher, contraint de procéder à des arbitrages qu’il juge « littéralement mortels ». Dans les faits, chaque ration alimentaire retirée, chaque poste de santé fermé se traduit par des vies raccourcies ou brisées. L’appel de fonds 2024, évalué à 2,6 milliards de dollars, n’est pour l’heure couvert qu’à 18 %.
Pour tenter de conjurer l’hémorragie, le Bureau de la coordination des affaires humanitaires plaide pour allouer à ses opérations un montant équivalent à un pour cent des dépenses militaires mondiales annuelles. Un objectif modeste au regard des enjeux sécuritaires régionaux, mais qui tarde à convaincre des capitales obnubilées par des priorités intérieures.
Entraves logistiques et diplomatie des accès
L’aéroport de Goma, entravé par des tirs sporadiques, fonctionne en pointillé ; les routes vers Rutshuru et Masisi sont hachées de barrages informels. Dans ce labyrinthe de check-points, les convois humanitaires doivent négocier leur passage village après village. « Nos équipes s’échinent à rouvrir des couloirs vitaux, parfois au prix de longues médiations avec des chefs locaux ou des groupes armés », explique une responsable d’ONG congolaise. De telles discussions ne relèvent pas seulement du domaine logistique ; elles constituent un exercice diplomatique à part entière, où chaque concession de territoire se joue sur la ligne de crête entre pragmatisme humanitaire et neutralité perçue.
Résilience communautaire et lueur d’espérance
Malgré la rudesse du quotidien, les communautés déplacées s’organisent. Dans le camp de Bulengo, un comité de quartier improvisé a réhabilité un puits abandonné, tandis que des enseignants bénévoles dispensent des cours sous un auvent de toile. « Je n’ai pas renoncé à la solidarité humaine », insiste Tom Fletcher, rappelant que la Charte des Nations Unies garde toute sa pertinence pour ceux qui vivent sur la ligne de front. Cet esprit de résistance silencieuse offre un rare contre-poids à l’érosion de l’attention internationale.
Vers un sursaut de la communauté internationale ?
L’ONU martèle qu’une stabilisation durable de l’est congolais dépend autant d’un réengagement financier que d’un règlement politique du conflit. Les chancelleries régionales poussent pour une reprise du dialogue de Luanda, tandis que l’Union africaine encourage une coordination accrue entre les mécanismes de surveillance frontalière. Si les couloirs diplomatiques s’animent, le terrain, lui, réclame une action immédiate. Goma, qui continue d’absorber les chocs d’une guerre à basse intensité devenue chronique, se présente à nouveau comme la mesure tangible de la volonté collective de protéger les civils. Sans un flux de ressources adapté à l’ampleur des besoins, la cité volcanique risque de demeurer le théâtre d’une détresse à huis clos.