La Journée africaine de la fonction publique, un laboratoire continental
Quinze mois à peine après la pandémie qui a mis à nu la vulnérabilité des administrations africaines, la 10ᵉ Journée africaine de la fonction publique (JAFP) s’est tenue à Addis-Abeba sous l’œil vigilant de l’Union africaine. Ministres, hauts fonctionnaires, universitaires et partenaires au développement y ont planché trois jours durant sur la résilience administrative, thème devenu incontournable depuis que la digitalisation s’impose comme socle d’une gouvernance équitable. Dans ce cénacle, chaque délégation avait la charge de démontrer, preuves à l’appui, la pertinence de ses réformes. L’exercice tenait autant de la revue de projets que de la diplomatie d’influence, tant il est vrai que l’efficacité administrative constitue désormais un atout géopolitique majeur.
Brazzaville déroule sa feuille de route numérique
Confiée à Christian Aboké-Ndza, directeur de cabinet du ministre d’État en charge de la Fonction publique, la délégation congolaise a misé sur une communication offensive, chiffres et maquettes à l’appui. Dans la droite ligne du projet présidentiel « Ensemble, poursuivons la marche », l’orateur a détaillé un arsenal d’innovations : enrôlement biométrique de quelque 105 000 agents civils, déploiement d’un Système intégré de gestion des ressources humaines de l’État (SIGRH) et interconnexion progressive des directions techniques. À ces actions s’ajoutent la création d’un Répertoire interministériel des métiers, l’étude d’un futur système de gestion électronique des documents et l’opérationnalisation d’un portail citoyen destiné à raccourcir la distance symbolique entre administration et administrés. L’objectif affiché, « rapprocher le service public des usagers », se veut la déclinaison concrète de la Charte africaine sur les valeurs et principes du service public, que le Congo a intégrée dans son nouveau cadre légal.
Réactions mesurées, enjeux réels
Les participants ont salué l’audace de Brazzaville, sans dissimuler leurs interrogations sur la soutenabilité budgétaire d’un tel chantier. Plusieurs observateurs rappellent que la biométrie, coûteuse à l’amorçage, produit ses économies à moyen terme seulement si le contrôle interne reste rigoureux. Le directeur de cabinet a saisi la tribune pour solliciter de la Commission de l’Union africaine un appui technique à l’élaboration des rapports de suivi de la Charte, obtenant in fine la promesse d’une session de formation pour les cadres congolais. Au-delà de la reconnaissance protocolaire, cet accompagnement constitue un gage de crédibilité : il ancre la réforme congolaise dans un cadre d’évaluation continental et la soumet à un devoir de redevabilité qui fera office de test grandeur nature.
La société civile, variable d’ajustement ou acteur stratégique ?
Point de détail pour certains, pivot démocratique pour d’autres, la participation de la société civile a occupé une place non négligeable dans l’allocution congolaise. Christian Aboké-Ndza a mis en avant le Comité national du dialogue social ainsi que les conseils consultatifs dédiés aux femmes, aux jeunes et aux personnes handicapées. Sur le papier, ces dispositifs répondent aux exigences d’inclusivité célébrées par l’Union africaine. Reste à savoir si, dans les faits, les organisations non gouvernementales auront un droit de regard substantiel sur la mise en œuvre technique des solutions numériques. Plusieurs experts présents à Addis-Abeba ont averti : « La modernisation ne se mesure pas seulement en kilomètres de fibre optique, elle se jauge à l’aune de la confiance citoyenne ». Cet avertissement, prononcé avec diplomatie, souligne que toute transformation administrative qui négligerait la culture du service risquerait de reproduire les biais qu’elle prétend corriger.
Cap sur 2027 : entre espoirs et incertitudes
La prochaine édition de la JAFP, programmée en 2027 toujours en Éthiopie, servira de banc d’essai aux promesses formulées cette année. Brazzaville, désormais sous le regard d’un réseau d’experts continentaux, devra démontrer la pérennité de son infrastructure numérique, mais aussi sa capacité à former et retenir des fonctionnaires qualifiés. À moyen terme, la réussite congolaise pourrait constituer un précédent pour les États d’Afrique centrale longtemps jugés en retard sur la digitalisation. À l’inverse, un ralentissement ferait figure d’argument pour les partisans d’une réforme plus graduelle. L’enjeu dépasse donc la seule administration : il touche à la compétitivité régionale et à la crédibilité du multilatéralisme africain. Entre volontarisme politique et contraintes structurelles, l’État congolais se trouve face à un pari de cohérence : inscrire la technologie au service d’un contrat social renouvelé, et non l’inverse.