Un partenariat stratégique signé à Abuja
Le 27 juin 2025, à l’ombre feutrée des Afreximbank Annual Meetings, le Nigeria aura servi de théâtre à une scène devenue rare dans un calendrier international saturé : la rencontre de deux ambitions africaines portées par des institutions complémentaires. Kanayo Awani, vice-présidente exécutive d’Afreximbank, et Anis Jaziri, président du Tunisia Consortium for African Development, ont apposé leurs signatures sur une convention qui engage la banque panafricaine à soutenir financièrement les projets structurants promus par TUCAD. Les attendus dépassent la seule Afrique du Nord et visent l’ensemble du continent, résumés en creux par une équation aussi simple qu’exigeante : renforcer la capacité d’ingénierie tunisienne tout en accélérant la concrétisation de chantiers critiques dans l’énergie, l’eau ou les transports.
Dans l’assistance se trouvaient le vice-gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Mourad Abdesslem, et l’ambassadeur de Tunisie au Nigeria, Mohsen Antit, témoignant de la dimension étatique accordée à l’accord. Ce ballet diplomatique indique que le document signé n’est pas une clause de plus dans la forêt des MoU, mais un pivot susceptible d’infléchir la cartographie des bailleurs de fonds africains.
Le rôle catalyseur d’Afreximbank dans la transformation continentale
Sous la houlette du professeur Benedict Oramah, Afreximbank a fait évoluer son mandat initial – axé sur le commerce – vers une capacité d’origination et de syndication de projets industriels à grande échelle. Son portefeuille cumulé, chiffré à plusieurs centaines de milliards de dollars, irrigue désormais l’industrie pharmaceutique, la logistique portuaire, les corridors ferroviaires ou l’agro-transformation. Les responsables de la banque rappellent volontiers leur logique « One Bank, One Africa », articulée autour d’instruments hybrides mêlant capital-risque, garanties souveraines et lignes de crédit concessionnelles.
La convention avec TUCAD s’inscrit dans cette stratégie d’élargissement de l’impact. La banque procède moins à une simple injection de liquidité qu’à l’adossement d’une ingénierie financière sur une ingénierie technique, réduisant l’asymétrie qui, trop souvent, repousse la finalisation des grands chantiers africains. Les programmes phares de la banque, tels que la Foire commerciale intra-africaine ou l’initiative PAPSS de paiement panafricain, constituent autant de briques qui facilitent la bancabilité des projets qu’abritera le portefeuille TUCAD.
TUCAD, un modèle de diplomatie économique sud-sud
Né dans le sillage du Tunisia Africa Business Council, TUCAD fédère des entreprises tunisiennes aguerries aux marchés subsahariens. L’agrégation de compétences – construction, purification d’eau, TIC, génie civil et services maritimes – préfigure un consortium de type EPC capable de livrer clé en main des infrastructures vitales. Dans un continent encore tributaire d’opérateurs extra-africains pour les grands travaux, la proposition tunisienne revêt une signification politique : affirmer que la valeur ajoutée peut rester sur le continent, que les chaînes d’approvisionnement peuvent être reconfigurées sans passer systématiquement par les places financières du Nord.
Anis Jaziri insiste sur « la complémentarité entre excellence opérationnelle tunisienne et objectifs de développement locaux ». Cette complémentarité trouve un écho favorable auprès d’Afreximbank, attentive à l’essor de champions régionaux capables d’entraîner un tissu de PME africaines dans leur sillage. L’accord ouvre par ailleurs la voie à des transferts de technologie que la Tunisie, forte d’un écosystème numérique reconnu, est en mesure de partager.
Implications géopolitiques pour l’Afrique centrale et le Congo-Brazzaville
Au-delà du binôme Nigeria-Tunisie, l’accord intéresse particulièrement les capitales d’Afrique centrale qui recherchent des partenaires financiers solides pour leurs plans de diversification économique. Brazzaville, engagée dans une modernisation progressive de ses infrastructures, pourrait trouver dans la formule Afreximbank-TUCAD un guichet conjuguant expertise technique et financements à maturités adaptées. Plusieurs conseillers du gouvernement congolais rappellent que la présidence de Denis Sassou Nguesso a fait de l’interconnexion énergétique et logistique un pilier de la Vision 2025, et que ces axes nécessitent une ingénierie régionale crédible.
En adossant une banque panafricaine à un consortium nord-africain, l’Afrique centrale évite le piège d’une dépendance exclusive aux bailleurs traditionnels. Cette diversification réduit la volatilité liée aux cycles des matières premières, accroît la résilience budgétaire et renforce la marge de négociation des États. Le signal est également envoyé aux autres partenaires multilatéraux : l’Afrique entend organiser elle-même la gouvernance de ses projets.
Vers une intégration régionale accélérée
Les observateurs de l’Union africaine voient dans la convention d’Abuja la préfiguration d’une architecture financière continentale où les capitaux circulent plus librement entre banques régionales et acteurs privés. En soutenant des offres intégrées portées par des entreprises africaines, Afreximbank contribue à internaliser le savoir-faire et à densifier les chaînes de valeur. Ce schéma est cohérent avec la Zone de libre-échange continentale africaine qui mise sur l’élimination progressive des barrières tarifaires et non tarifaires.
Il ne s’agit pas pour autant de sous-estimer les défis : sécurisation foncière, harmonisation réglementaire et renforcement du capital humain demeurent essentiels à la réussite des projets. Mais l’accord Afreximbank-TUCAD offre un premier test grandeur nature. S’il se traduit par des réalisations tangibles – postes électriques, stations de dessalement, liaisons ferroviaires – il renforcera la crédibilité de la finance africaine auprès des investisseurs institutionnels. À terme, l’on pourrait assister à la naissance d’un véritable marché intérieur du grand ouvrage public, dominé non plus par les firmes d’outre-mer mais par des consortia africains aux reins solides.
En dernière analyse, Abuja aura permis plus qu’une signature : la mise en perspective d’un nouveau narratif où l’Afrique finance, conçoit et exécute ses propres priorités, avec, pour ligne d’horizon, une croissance inclusive et une souveraineté industrielle progressivement consolidée.