Abidjan, nouveau carrefour des plumes économiques ouest-africaines
Le choix d’Abidjan pour accueillir le colloque sous-régional des médias de l’Union économique et monétaire ouest-africaine ne doit rien au hasard. Capitale financière d’un espace qui revendique 3,5 % de croissance moyenne en 2024 selon la BCEAO, la métropole ivoirienne offre une vitrine idoine aux ambitions numériques de l’UEMOA. Pendant deux jours, rédacteurs en chef, correspondants et analystes issus des huit États membres scrutent la dialectique entre révolution digitale et approfondissement du marché commun. Dans les travées du Centre des conférences Félix-Houphouët-Boigny, la tension est palpable : « Nous sommes au cœur d’une mutation qui décidera de la crédibilité future de nos économies et de nos salles de rédaction », confie, sans forcer la voix, Mariam Diallo, éditorialiste sénégalaise.
La transformation numérique, ferment ou mirage de l’intégration ?
Pour les participants, la digitalisation n’est plus un simple levier de modernisation administrative ; elle devient la condition sine qua non d’une intégration réellement opérationnelle. Le rapport introductif, présenté par la Commission de l’UEMOA, rappelle que 57 % des PME de la zone restent hors du champ des services financiers électroniques. Dans ces conditions, les ambitions de libre circulation des capitaux butent sur des goulets d’étranglement techniques. La montée en puissance des fintechs locales – Wave, Orange Money ou Moov – atteste pourtant d’une appétence populaire. « L’enjeu est de convertir cet engouement dispersé en architecture régionale cohérente », martèle un conseiller économique burkinabé, craignant que la fragmentation technologique entérine de nouvelles frontières invisibles.
Infrastructures et régulation : le talon d’Achille de la convergence numérique
La carte des infrastructures révèle une géographie inégale. Tandis que la Côte d’Ivoire revendique une couverture 4G de 85 %, le Niger peine à dépasser les 35 %. Cette disparité, que la pandémie a crûment mise en lumière, complique l’harmonisation des plateformes de paiement et des bases de données douanières. Les directeurs de la régulation citent la lente adoption du Règlement communautaire sur la protection des données, inspiré du RGPD européen mais encore en jachère dans plusieurs capitales. Or, sans socle juridique commun, les investisseurs hésitent à déployer des solutions transfrontalières. À la tribune, le ministre ivoirien de l’Économie numérique admet « une course contre la montre où le politique doit rejoindre le temps du marché ».
Les médias économiques, courroie de transmission ou contre-pouvoir ?
Au-delà du diagnostic technique, le colloque insiste sur la responsabilité des rédactions dans la fabrique d’un narratif régional. Plusieurs intervenants rappellent que l’intégration est aussi affaire de perception et de confiance. Faute de couverture transnationale, la rumeur l’emporte souvent sur l’information vérifiée, nourrissant un protectionnisme de proximité. D’où l’engagement annoncé d’un réseau de correspondants croisés, chargé de mutualiser enquêtes et data-journalisme. Le Béninois Jérôme Kouassi plaide pour « une diplomatie des claviers », susceptible d’éclairer les citoyens sur les bénéfices tangibles de l’union monétaire, du tarif extérieur commun et des corridors logistiques modernisés. En filigrane, se dessine l’idée d’un quatrième pouvoir régional capable de critiquer les retards tout en accompagnant les réformes.
Perspectives post-Abidjan : vers un pacte médiatico-institutionnel
Avant la levée de rideau finale, un projet de déclaration conjointe circule dans les couloirs. Il esquisse la création d’un Observatoire de la transformation numérique, animé par les rédactions participantes, en liaison avec la Commission de l’UEMOA et la BCEAO. Objectif : produire, chaque semestre, un indice synthétique mesurant interopérabilité, cybersécurité et inclusion financière. Cet outil, inspiré du Digital Economy and Society Index européen, devrait alimenter les négociations ministérielles et orienter les bailleurs internationaux. Reste à savoir si les budgets de la coopération multilatérale suivront. Un diplomate français, discret habitué des huis clos ouest-africains, résume l’atmosphère : « La lucidité est là, la volonté aussi ; ce qui manque encore, c’est un alignement durable entre discours et décaissements. »
Un enjeu de crédibilité régionale à l’heure des rivaux continentaux
À l’ombre des mégaprojets de la ZLECAf et des initiatives panafricaines d’interconnexion, l’UEMOA ne peut se permettre un tempo trop lent. Abuja, Nairobi ou Le Caire avancent déjà leurs pions, attirant capitaux et start-ups. La déclaration d’Abidjan sera jugée à l’aune de son effectivité. Dans les couloirs, un consultant ghanéen glisse : « Si nous voulons que la zone francophone soit autre chose qu’un appendice, il nous faut des résultats mesurables d’ici à 2027. » Pour les journalistes économiques présents, la prochaine Une se jouera autant sur la vitesse de déploiement des câbles sous-marins que sur la vigueur des volontés politiques.