La subvention camerounaise : chiffres et portée sociale
En annonçant une enveloppe de 52,6 milliards FCFA pour stabiliser le prix de la bonbonne de gaz domestique, le ministre camerounais du Commerce a rappelé que l’État avait mobilisé 10,1 milliards supplémentaires par rapport à l’exercice 2023. Converti en devises, l’effort s’élève à près de 93 millions USD, soit l’équivalent de 0,25 % du produit intérieur brut national. Sur le terrain, le résultat est tangible : la bouteille de 12,5 kg reste affichée à 6 500 FCFA dans les centres urbains, un plafond qui ménage le pouvoir d’achat des ménages modestes tout en contenant la pression inflationniste globale (Ministère du Commerce du Cameroun, 2024).
Volatilité des marchés internationaux : une équation budgétaire complexe
Depuis l’invasion de l’Ukraine, le prix spot du butane a franchi des seuils inédits, oscillant entre 670 et 890 USD la tonne sur le marché de Rotterdam. Pour Yaoundé comme pour Brazzaville, ces variations exacerbent le dilemme classique : garantir la paix sociale ou assainir les comptes publics. Le Cameroun a choisi, cette année encore, de privilégier la première option, saisissant l’occasion de traits budgétaires contenus par la hausse des recettes pétrolières. Toutefois, la soutenabilité de la mesure demeure suspendue à la trajectoire des cours et à la remontée des taux directeurs internationaux, qui renchérit le service de la dette souveraine.
Répercussions régionales : Brazzaville observe et ajuste ses leviers
À Brazzaville, l’expérience camerounaise est suivie avec une attention d’orfèvre. Le gouvernement congolais, qui a su maintenir la stabilité macroéconomique malgré un contexte international heurté, mesure les avantages collatéraux d’une politique de soutien ciblé aux ménages. Un conseiller du ministère congolais des Hydrocarbures confiait récemment qu’« une subvention bien calibrée peut prévenir l’érosion du capital social en période de tension géopolitique ». Le discours officiel insiste néanmoins sur la nécessité de préserver la viabilité budgétaire, ligne directrice fixée par le président Denis Sassou Nguesso dans sa stratégie de diversification économique.
Options de diversification énergétique : du gaz congolais au biogaz local
Le bassin côtier congolais recèle des réserves gazières sous-exploitées, positionnant le pays comme futur pourvoyeur régional. Portée par des projets tels que Marine XII et le partenariat avec l’italien Eni, la République du Congo ambitionne d’injecter sur le marché local, dès 2025, des volumes suffisant à lisser les pics de prix. Dans le même temps, Brazzaville explore les filières alternatives : biométhane issu des résidus agro-industriels et cylindres composites allégés pour réduire les coûts logistiques internes. En somme, le Congo cherche moins à copier qu’à internaliser la leçon camerounaise en un dispositif adapté à son mix énergétique.
Enjeux diplomatiques et perspectives de coopération énergétique
La décision camerounaise ravive le débat sur la mutualisation des capacités de stockage dans le golfe de Guinée. Une source diplomatique à Libreville souligne que « des terminaux gaziers partagés favoriseraient une mise en commun des risques et une rationalisation des subventions ». Dans cette configuration, Brazzaville, grâce à son accès fluvial stratégique et à une gouvernance énergétique saluée par plusieurs partenaires multilatéraux, pourrait devenir un hub de transit. Les chantiers d’interconnexion électrique et gazière portés par la CEEAC prennent ainsi une dimension politique accrue, offrant à la République du Congo l’occasion de consolider son rôle de médiateur énergétique régional tout en protégeant la stabilité domestique de ses partenaires.
Vers une trajectoire plus résiliente pour l’Afrique centrale
À l’heure où les États africains affrontent la conjonction de chocs exogènes – prix élevés des denrées, resserrement financier, vulnérabilités climatiques –, la subvention camerounaise illustre un arbitrage délicat : amortir le choc social sans compromettre la crédibilité macroéconomique. En ce sens, le regard porté depuis Brazzaville est d’abord pragmatique : observer, dialoguer, puis intégrer les bonnes pratiques. Dans un environnement moralement volatil, le partage d’expériences, plutôt que la rivalité, constitue le plus sûr vecteur de stabilité régionale.