La 92e session, vitrine d’une stratégie régionale ambitieuse
Réunis le 30 juin 2025 à Lomé, les administrateurs de la Banque d’investissement et de développement de la CEDEAO ont validé un nouveau train de financements qui porte la signature cumulative de l’institution à plus de cinq milliards de dollars, un seuil hautement symbolique pour cet établissement créé il y a un peu plus de deux décennies. Dans son communiqué final, la présidente du Conseil, Massandjé Touré-Litsé, a souligné « l’urgence d’accélérer l’industrialisation endogène tout en protégeant les équilibres macroéconomiques déjà fragilisés par les chocs exogènes » (communiqué de la BIDC, 30 juin 2025).
De l’éducation technique à l’agro-industrie : vers une jeunesse employable
Le premier volet financier consacre cinquante millions d’euros à la construction et à l’équipement de six centres d’enseignement technique et de formation professionnelle au Togo. Programmés pour former plus de trois mille jeunes par an, ces établissements doivent répondre à la pénurie d’ouvriers qualifiés dans les filières de maintenance industrielle et de construction. Dans le même esprit, un appui de près de vingt-neuf millions d’euros permettra la modernisation de quatre lycées agricoles en Guinée. « Nous ne pouvons plus importer des compétences de base dans les métiers agrosylvo-pastoraux si nous voulons stabiliser les zones rurales », fait valoir le ministre guinéen de l’Agriculture, Fodé Kaba, interrogé par nos soins.
Ces initiatives pédagogiques touchent au cœur de l’Objectif 4 de développement durable consacré à l’éducation de qualité. Elles s’inscrivent également dans la perspective plus politique de la CEDEAO, qui voit dans le dividende démographique un gisement de croissance plutôt qu’une menace sécuritaire.
Hydroélectricité de proximité : l’énergie comme levier d’équité territoriale
Le Conseil a ensuite avalisé un montage de plus de quatre-vingt-quinze millions d’euros destiné à ériger trois microcentrales hydroélectriques de dix mégawatts chacune sur les sites de Poukou, Bolokoun et Biwbaw en Guinée forestière. Le choix d’unités « à taille humaine » reflète l’option d’une électrification graduelle, moins vulnérable aux retards de grands barrages structurants. Selon l’Agence guinéenne des services électriques, ces ouvrages fourniront environ cent quatre-vingt gigawattheures par an et éviteront l’émission de cent trente mille tonnes de CO₂.
Au-delà de la simple production, ces installations doivent jouer un rôle d’amorçage industriel dans des territoires où le coût du kilowattheure demeure prohibitif pour les PME agro-alimentaires et les mines artisanales. Elles cochent ainsi la case de l’Objectif 7 consacré à une énergie propre et abordable.
L’autoroute Lagos-Calabar, colonne vertébrale d’un marché intégré
Sur le plan logistique, la BIDC engage cent millions de dollars dans la première section, longue de quarante-sept kilomètres, de l’autoroute côtière Lagos-Calabar. Cet axe reliera à terme neuf États fédérés et desservira deux pôles portuaires majeurs, Apapa et Onne. Les projections de la Banque mondiale estiment que la réduction des temps de trajet de marchandises pourrait libérer jusqu’à un point de PIB supplémentaire au Nigeria d’ici 2030.
Conçue comme un corridor adossé à la Zone de libre-échange continentale africaine, cette autoroute favorisera l’extension de chaînes de valeur régionales dans l’agro-transformation, la pétrochimie légère et l’économie numérique. Le ministre nigérian des Travaux publics, Dave Umahi, affirme que « la fluidité d’un seul conteneur entre Lagos et Port Harcourt signale la même confiance qu’un grand discours politique ».
Le ciment ivoirien : un choix pragmatique pour la résilience urbaine
Afin de contenir la flambée des prix de la construction, la BIDC octroie vingt-cinq millions de dollars à la Société de Ciment de Côte d’Ivoire pour importer quatre cent mille tonnes de clinker. Cette enveloppe, modeste en apparence, devrait lisser la volatilité du marché urbain d’Abidjan, où la poussée démographique fait grimper la demande d’infrastructures de logement.
Le pari consiste à sécuriser les approvisionnements dans l’attente d’une montée en puissance des cimenteries locales, permettant de protéger les marges des promoteurs sans creuser le déficit courant ivoirien. L’opération illustre la flexibilité de la BIDC, capable de financer à la fois des mégaprojets d’infrastructure et des dispositifs de trésorerie ciblés.
Un arrimage méticuleux aux Objectifs de développement durable
Éducation, énergie, industrie et logistique : les créneaux retenus par la 92ᵉ session épousent la grille onusienne des ODD 4, 7 et 9. Le secrétariat de la Banque rappelle que chaque dossier est assorti d’indicateurs ex-ante d’impact social et environnemental. Une approche contra-cyclique visant à « protéger l’espace budgétaire des États membres tout en amenant des co-investisseurs privés », précise le chef du département crédit, Charles Boah.
En toile de fond, la BIDC cherche à se distinguer des bailleurs plus traditionnels en mettant en avant la rapidité d’exécution et la connaissance intime des marchés ouest-africains. Le succès du programme sera toutefois jugé sur la capacité des gouvernements à respecter les calendriers d’expropriation foncière, de passation de marché et de maintenance, points souvent douloureux dans la région.
Plus de cinq milliards engagés : la crédibilité financière consolidée
Le dépassement du seuil de cinq milliards de dollars d’engagements illustre la montée en puissance d’une institution encore classée « BBB » par Fitch Ratings mais forte d’un taux de recouvrement de 98 % sur son portefeuille historique. L’émission obligataire de 750 millions de dollars bouclée en février 2025 à un coupon de 6,125 % a été sursouscrite quatre fois, confirmant l’appétit des investisseurs internationaux pour la signature Ouest-africaine.
Alors que la région affronte des risques sécuritaires persistants et un environnement monétaire plus coûteux, la capacité de la BIDC à mutualiser ces risques reste son principal argument. À en croire un analyste de Standard Bank, « la Banque apparaît comme l’un des rares guichets où convergent stabilité, ancrage politique et ingénierie financière sophistiquée ». Cet écosystème, s’il se consolide, pourrait donner à la CEDEAO un levier autonome de développement, complémentaire des flux bilatéraux et multilatéraux.