Un État d’Afrique centrale au zénith
Au tournant du XVe siècle, le Royaume Kongo s’étend du sud du Gabon au nord de l’Angola et de l’Atlantique jusqu’aux abords de l’actuelle Kinshasa. Centralisé autour de Mbanza Kongo, future São Salvador, il lève l’impôt, frappe monnaie avec le fameux coquillage nzimbu et administre près d’un million de sujets, performance institutionnelle rare en Afrique centrale précoloniale. Cette architecture politique fait alors figure de pôle d’attraction pour les puissances européennes qui longent la côte Atlantique à la recherche d’alliances marchandes.
La rencontre luso-kongo : alliance ou cohabitation ?
Lorsque le navigateur Diogo Cão mouille dans l’estuaire du Nzadi en 1482, le Portugal découvre un partenaire disposant déjà d’une diplomatie rôdée. Les échanges d’otages, pratique courante, se muent rapidement en un faisceau de relations politiques et culturelles. Dès 1491, le Mani Nzinga Nkuwu reçoit le baptême sous le nom de Dom João Iᵉʳ et entérine un traité d’amitié avec Lisbonne. La cour s’initie au latin, à la théologie et à l’art militaire à l’Université de Coimbra. Henrique, fils du souverain, devient le premier évêque africain reconnu par Rome, signal que la chrétienté universelle sait parler kikongo lorsqu’elle y trouve intérêt.
Traite négrière : l’économie comme cheval de Troie
La symbiose apparente masque pourtant un déséquilibre croissant. Avec l’essor du Brésil, Luanda s’impose comme plateforme d’exportation de main-d’œuvre servile. Selon les estimations contemporaines, quatre millions de captifs quittent la région entre 1500 et 1850. Cette manne, d’abord tolérée parce qu’elle permet au Kongo de neutraliser des voisins hostiles, ronge peu à peu le tissu social et déplace le centre de gravité commercial vers les comptoirs portugais, hors du contrôle fiscal de São Salvador.
Les Provinces-Unies comme contrepoids
L’irruption des Hollandais en 1602 offre un répit. Leur occupation de Luanda en 1641 redonne au Mani un levier pour renégocier la place du royaume dans l’Atlantique lusophone. Mais la paix de Westphalie rétablit rapidement la supériorité de Lisbonne. À partir de 1649, le gouverneur colonial impose le passage obligé par Luanda pour tout Européen et confisque l’île de Luanda, source essentielle du nzimbu. Ce durcissement fait entrer la relation dans une phase de guerre froide où diplomatie et coups de force s’entremêlent.
Antonio Iᵉʳ, le dernier pari de l’indépendance
Monté sur le trône en 1661, Mvita-ya-Nkanga, plus connu sous le nom d’Antonio Iᵉʳ, hérite d’un équilibre précaire. Lorsque les Portugais exigent l’accès exclusif aux mines de cuivre de Mbembe, le souverain rétorque que « ces mines n’appartiennent à personne d’autre qu’au Kongo ». Le 13 juin 1665, il lance un appel national à la mobilisation, exhortant nobles et roturiers à protéger « nos biens, nos enfants et notre liberté ». L’invocation d’un intérêt collectif, rare dans les archives d’époque, montre une conscience étatique déjà moderne.
Ambuila : huit heures pour sceller un destin
Le 29 octobre 1665, près d’Ambuila, 500 soldats portugais épaulés par 7 000 auxiliaires locaux forment un carré classique, appuyé par deux canons. En face, jusqu’à cent mille guerriers – estimation probablement multipliée par la légende – manœuvrent arcs, javelots et quelques mousquets. Les vagues d’assaut se succèdent pendant plus de six heures. À la nuit tombée, le roi Antonio gît décapité, ses fils et cinq cents dignitaires l’accompagnent dans la mort. En perdant son élite administrative, le Kongo entre dans une spirale de guerres civiles dont il ne sortira jamais vraiment.
Postérité et enjeux contemporains
L’écho de cette défaite résonne encore dans l’imaginaire politique de l’Afrique centrale. Deux États modernes portent aujourd’hui le nom Congo, signe que la mémoire du vieux royaume transcende les découpages coloniaux postérieurs. À Brazzaville comme à Kinshasa, la commémoration de l’épopée kongo alimente un récit national fondé sur la résilience et la souveraineté. Sans prendre parti, la diplomatie congolaise actuelle puise volontiers dans cet héritage pour promouvoir un dialogue Sud-Sud affranchi de tutelles exogènes, illustrant que l’étude des batailles d’hier reste indispensable à la conduite des affaires d’aujourd’hui.