Un financement concessionnel pour arrimer la réforme fiscale
Le Conseil d’administration de la Banque mondiale a validé, le 24 juin, un crédit de 115 millions de dollars en faveur du Sénégal. L’instrument mobilisé relève de l’Association internationale de développement, garantissant des conditions particulièrement douces – un taux d’intérêt quasi nul et un étalement sur quarante ans. Dans son communiqué, l’institution de Bretton Woods salue « l’engagement de Dakar à consolider ses finances publiques et à renforcer la mobilisation de ses ressources internes ».
L’opération s’inscrit dans la série dite Development Policy Financing, laquelle lie déboursements et jalons de réforme. Les deux priorités affichées sont la modernisation de la chaîne de dépense de l’État et l’élargissement de l’assiette fiscale, éléments jugés indispensables à la soutenabilité de la trajectoire d’endettement du pays.
Le contexte macroéconomique : entre rebond post-Covid et pressions inflationnistes
Après un ralentissement à 1,3 % de croissance en 2020, l’économie sénégalaise a retrouvé un rythme supérieur à 4 % dès 2021, porté par des chantiers d’infrastructure et des investissements dans les hydrocarbures. Cette dynamique s’accompagne toutefois d’un déficit budgétaire estimé à 6,3 % du PIB en 2023, sous l’effet combiné des subventions à l’énergie et d’une masse salariale publique en hausse.
La Banque mondiale, de concert avec le Fonds monétaire international, encourage le gouvernement à ramener ce déficit sous la barre des 3 % d’ici 2025. « Le rééquilibrage passe autant par la rationalisation des dépenses que par une mobilisation accrue des recettes nationales », confie un haut fonctionnaire du ministère des Finances sénégalais, préférant garder l’anonymat.
Mobiliser les ressources intérieures : un impératif d’indépendance
Avec un ratio recettes fiscales/PIB de 16 %, le Sénégal se situe légèrement au-dessus de la moyenne subsaharienne, mais loin des 20 % jugés nécessaires pour financer des politiques publiques ambitieuses. Le nouveau programme appuyé par la Banque mondiale prévoit l’extension de la facturation électronique, la révision des exonérations sectorielles et le renforcement de la fiscalité locale.
Pour l’économiste Ndèye Awa Diop, chercheuse à l’Université Cheikh-Anta-Diop, « le véritable enjeu réside moins dans l’empilement de nouvelles taxes que dans la capacité à améliorer le civisme fiscal et la transparence de l’administration ». L’experte avertit toutefois que l’élargissement de l’assiette doit s’accompagner d’une meilleure qualité du service public, sous peine d’éroder la confiance citoyenne.
Transparence et contrôle : vers une gestion plus rigoureuse de la dépense
Outre la mobilisation de recettes, le prêt vise la modernisation du Système intégré de gestion des finances publiques. Il est prévu de généraliser la plateforme automatisée de passation des marchés et de réduire les délais de validation des dépenses. L’objectif affiché est de limiter les dérapages constatés ces dernières années, notamment dans la commande publique.
À Dakar, certains acteurs de la société civile saluent l’initiative, tout en demandant un suivi indépendant. « Les bailleurs ont un devoir de vigilance, mais la redevabilité doit d’abord provenir des institutions nationales », rappelle Birahim Seck, coordonnateur du Forum civil, branche sénégalaise de Transparency International.
Endettement et viabilité : des signaux mitigés sur le long terme
La Banque mondiale estime la dette publique du Sénégal à 72 % du PIB fin 2023, en légère baisse grâce à la croissance nominale. L’arrivée prochaine des recettes pétro-gazières, attendues dès 2024, pourrait offrir un ballon d’oxygène. Mais les analystes préviennent : la volatilité des cours et les risques de syndrome hollandais imposent une gestion prudente.
Pour l’agence de notation Moody’s, qui maintient la note Ba3 assortie d’une perspective stable, « la capacité du gouvernement à contenir les dépenses récurrentes déterminera la trajectoire du ratio dette/PIB ». À cet égard, l’appui technique de la Banque mondiale est perçu comme un garde-fou destiné à préserver la confiance des marchés internationaux.
Dimension géopolitique : rayonnement régional et concurrence des bailleurs
Le Sénégal, souvent cité comme élève modèle de l’UEMOA, consolide par ce prêt sa relation historique avec la Banque mondiale. Pourtant, la concurrence s’intensifie : Banque africaine de développement, Banque islamique de développement et partenaires bilatéraux, Chine en tête, proposent des financements aux conditions variées. La décision de Dakar de privilégier un instrument concessionnel traduit la volonté de préserver un espace budgétaire avant l’échéance de projets structurants, tels que le port de Ndayane ou le TER Dakar-AIBD.
Dans les couloirs du ministère des Affaires étrangères, un diplomate souligne que « le choix d’un prêt à 0,75 % à quarante ans est aussi un signal envoyé aux agences et aux marchés : le Sénégal ne souhaite pas substituer un endettement à court terme coûteux à une offre multilatérale supervisée ».
Cap vers 2025 : une fenêtre d’opportunité sous conditions
Le prêt de 115 millions $ ne résoudra pas à lui seul les défis structurels du Sénégal, mais il peut servir de catalyseur. Sa mise en œuvre coïncide avec l’entrée en service des champs de Sangomar et de GTA, ainsi qu’avec la tenue de la prochaine présidentielle. La discipline budgétaire pourrait donc devenir un thème majeur du débat public.
Comme le résume un ancien ministre de l’Économie, « l’équation est délicate : maintenir l’élan de l’émergence tout en évitant la dépendance croissante à l’endettement. L’appui de la Banque mondiale apporte de la crédibilité, mais c’est la gouvernance interne qui fera la différence ».